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L’un contre l’autre ; l’Heure espagnole et Gianni Schicchi selon L. Pelly

Manque d’imagination ou volonté délibérée d’effacer une œuvre par sa suivante ? On aurait pu sans peine trouver un pendant français à L’Heure espagnole, ne fut-ce que le Persée et Andromède d’Ibert sans même rêver du doublé plus ouvert avec L’Enfant et les Sortilèges qui tombait sous le sens. Mais confronter la comédie courte et sèche de Ravel avec le seul chef d’œuvre tragi-comique de Puccini, et qui plus est l’un de ses ultimes opus (seul Turandot suivra comme le rappelle opportunément Sylvain Fort dans son beau texte de programme), c’était immanquablement faire pencher la balance du coté de l’italien.

Non pas qu’Ozawa ne soit pas entré avec le naturel qu’on lui connaît dans les alchimies ravéliennes, non pas qu’il n’ait disposé d’une distribution ad hoc, tous furent parfaits, emmenés par la Concepcion frustrée de Sophie Koch (Ah ! son Quadalquivir !). Mais quoi alors ? Et bien deux choses : pardon, l’esprit Franc-Nohain de l’Heure espagnole commence à sentir ses heures de vol alors que justement on se livre à nouveau sans vergogne aux muses en petites culottes de Messager ou d’Yvain, et Ravel n’y a pas couché ses pages les plus impérissables : tout maître du pastiche qu’il soit, l’esprit de l’opéra comique lui a filé entre les doigts ; puis Pelly, en plaçant sur un mur qui monte aux cintres tout un bazar mi ménager mi horloger et en reléguant son monde sur l’avant-scène a réduit l’espace d’une façon trop anxiogène pour que la folie heureuse que la partition peut faire pétiller se déclenche.

L’orchestre évidemment fut merveilleux, un poème à lui seul, Ozawa possède décidément le secret de faire sonner les instrumentistes de l’Opéra comme personne, et Garnier lui a toujours porté chance, on se souvient encore de son doublé L’Enfant et les Sortilèges/Oedipus Rex. Mais durant L’Heure espagnole il fut peu attentif à la dramaturgie pourtant assez téléphonée de Pelly. Tiens, pour une fois, tout un opéra revu par lui où l’on ne rencontre pas une idée originale. Il n’en aura pas beaucoup plus pour Gianni Schicchi, où le théâtre se fait plus naturellement encore que dans L’Heure espagnole. C’est très bien ainsi, une des vertus trop peu pratiquées par les metteurs en scène est bien celle de s’abstenir.

Les décors de Caroline Ginet et de Florence Evrard, avec leur Firenze d’armoires, de placards, d’horloges qui faisaient comme les tours de San Geminiano, les lumières toujours aussi éloquentes de Jöel Adam, le sens vipérin qu’Agathe Mélinand met souvent à sa dramaturgie, bref toute l’équipe Pelly a vraiment fonctionné à plein régime sur l’opéra de Puccini. Mais Pelly lui-même, sinon pour la valse du lit ? Un formidable Corbelli faisait en deux gestes et deux accents un mythe plus encore qu’un personnage, qui, ne l’oublions pas, vient de l’enfer du Dante, la famille délirante dont saillait surtout la Zita âpre au gain d’Elena Zillio, un Gerhardino délicieux dans ses deux phrases d’enfant (et dont le programme ne donne pas le patronyme), tous devançaient un couple d’amoureux décevant : la Lauretta de Patrizia Ciofi, en petite voix, manquait de pulpeux pour « O mi babino caro », et Roberto Sacca était bien dur de timbre.

Mais Ozawa, plus au diapason de l’action dramatique, su rendre à l’orchestre puccinien toutes ses subtilités, et elles sont légion dans Gianni Schicchi, œuvre où les sfumatos d’atmosphères, les railleries des bois, les nombreux accompagnements de mimodrames (la lecture du testament, les demandes des héritiers sotto voce à Schicchi avant que celui-ci ne reçoive le notaire, etc…), les ponts lyriques entres les scénettes sont autant d’élément constitutifs de la dramaturgie. En sortant dans le soleil, c’est Puccini qui nous accompagnait, plus rien de Ravel ne nous restait. Ah si, un chanteur nous demeurait en mémoire aussi bien en Don Inigo Gomez, qu’en Betto : Alain Vernhes, impeccable troupier qui survit depuis des années dans des théâtres lyriques dont l’asservissement à la mondialisation a désigné justement la troupe comme premier ennemi dispendieux à éliminer.

Si Gérard Mortier pouvait considérer un instant de reconstituer une vraie troupe lyrique à l’ Opéra de Paris, cela rendrait espoir à bien des mélomanes et à bien des chanteurs. Et suffirait à revifier rapidement tout un répertoire qui ferait les beaux jours de Favart et de Garnier. Une certaine Mireille Larroche, sur sa Pèniche…

Jean-Charles Hoffelé

L’Heure espagnole de Maurice Ravel et Gianni Schicchi de Giacomo Puccini, Palais Garnier, Paris, le 28 mars 2004. Jusqu’au 7 avril.

Programme détaillé de l'Opéra Garnier

Photo : G.I. Manuel Frères
 

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