Les occasions d’entendre France Clidat à Paris ne sont guère nombreuses et l’on sait gré à Joëlle Astier, chargée de la programmation des Midis Musicaux du Châtelet, d’avoir convié une grande dame du piano. Bien lui en prit d’ailleurs car une salle pleine à craquer a réservé un magnifique accueil au programme intégralement lisztien proposé par l’artiste.

Dès l’attaque du Sonnet de Pétrarque n°104, la sonorité ample et timbrée de France Clidat souligne la richesse d’écriture d’une musique avec laquelle elle entretient un rapport dont il n’est plus nécessaire de dire l’évidence, l’immédiateté. Ici comme dans le Sonnet n°123, le foisonnement pianistique ne s’exprime toutefois jamais au détriment d’un souci du phrasé, de l’articulation, de la respiration qui renvoie à la forme première de pages originellement conçues pour voix et piano.

Lugubre Gondole n°1 : l’interprète passe sans transition à l’univers du dernier Liszt. Toute l’étrangeté de la pièce est saisie avec des coloris sombres, fuligineux… Des doigts inspirés nous invitent à une descente aux abîmes, fiévreuse, dramatique mais d’un goût toujours assuré. Compléments judicieux, les Csardas obstinée et Macabre prolongent ce qui prend l’allure d’un triptyque envoûtant, halluciné, cauchemardesque…

Triptyque encore – et pensé comme tel par l’auteur cette fois – que Venezia e Napoli. Les habitués des concours internationaux savent combien la virtuosité de ces pièces peut aisément devenir vaine… On n’en apprécie que plus les irisations, les frémissements lumineux que France Clidat imprime à la Gondoliera, l’ardeur et la virilité avec laquelle un jeu d’une ampleur symphonique déploie à pleins poumons la Canzone. Avant que la Tarentella finale ne nous emporte dans son flamboiement virtuose !

« Oui, la virtuosité est grande quand elle est, comme chez Liszt, unie au génie créateur et à la générosité » : avec une telle musicienne, les mots de Vladimir Jankelevitch prennent tout leur sens !

Alain Cochard

Théâtre du Châtelet

Photo : DR