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Paris - Compte-rendu - Pluie d’Anges. Création du troisième opéra de Peter Eötvös
Peter Eötvös aurait-il trouvé avec la pièce de Tony Kushner le sujet idéal pour son univers lyrique ? Oui. Loin du dévoiement qu’il avait fait subir à Tchekhov avec ses Trois Sœurs, et au contraire du flop scénique (quelle idée d’en avoir confié la régie à Stanislas Nordey !) du Balcon de Genet, Angels in America est un spectacle faramineux.
On est littéralement happé par l’action scénique d’autant qu’Eötvös a composé les rôles pour les chanteurs qui les interprètent. Donald Maxwell, tellement dans la peau du cynique Roy Cohn, Julia Migenes, véritable bête de scène, conduisant sa Harper Pitt sous valium au bord de l’hallucination avec une sorte de désinvolture inquiétante lui faisant jouer sans cesse les funambules au-dessus des précipices du suicide, Robert Alexander, toujours aussi subtile comédienne et admirable chanteuse, endossant avec un humour inusable les défroques si opposées du Rabin Chemelwitz et de Hanna Pitt, Barbara Hendricks, Ange impeccable dont le soprano assombri faisait preuve d’un cantabile inaltéré, décidément les anciens excellaient tous.
Et les jeunes n’étaient pas en retrait : séduisant à en mourir, le Louis de Topi Lehtipuu confirme qu’il est un acteur naturel d’un format singulier, tout comme Daniel Belcher, dont le Prior Walter, Queer tellement touchant, avec ses moues et ses révoltes de gamin, son appétit irrépressible de vie et de sexe qui le sauvent de la mort, sans oublier Omar Ebrahim, Joe Pitt velléitaire dont l’humanité est révélé en même temps que la réalisation physique de ses désirs homosexuels et Derek Lee Ragin, en folle aussi subtile que déjantée dans ses quatre emplois. Acteurs ?
Oui, pour ceux qui pensent (avec raison ?) que l’opéra est mort, Eötvös invente un nouveau genre de spectacle musical, où le théâtre avec son parlando et la musique avec son cantando se relaient avec fluidité. L’avantage de sa musique est aussi sa faiblesse : facile, efficace, cumulant les formules et les microcitations, on l’oublie à mesure qu’on l’entend. Sans la réalité du spectacle génial de Philippe Calvario et de Richard Peduzzi, elle n’aurait aucune existence. Angels in America, plus que les deux essais précédents d’Eötvös inaugure avec succès la naissance d’un genre scénique hybride : voix amplifiées, théâtre décalé, scènes partagées entre deux actions, enlacement des rêves, des hallucinations et de la réalité, son aboutissement sera probablement cinématographique.
En tous cas cette pièce sur les années sida était filmée en vue d’un DVD. Paradoxe, pour notre génération qui a subi de plein fouet la décimation par la maladie, les mots « more life » affichés à la fin, prenaient presque un goût amer. Tant sont partis sans justement croire à cette possibilité.
Jean-Charles Hoffelé
Création mondiale de Angels in America de Peter Eötvös, Théâtre du Châtelet, Paris, le 26 novembre, et le 29 novembre.
Photo: MN Robert
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