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Paris - Compte-rendu - Résurrection. L’Orphée de Glück selon Pina Bausch ressort des limbes
Tout Pina Bausch, sans les complexifications et les redondances qui ont encombré ses derniers ballets, était déjà dans cet Orphée pensé pour le Tanztheater de Wuppertal en 1975 ! Quelle belle idée d’avoir exhumé ce travail dont l’intensité poétique demeure toujours aussi touchante. Bausch offre quatre tableaux. Le Deuil, avec son peuplier d’hiver terrassé par une bourrasque nous projette immédiatement dans un univers au lyrisme expressif qui se coule sans faux plis dans la musique de Gluck.
Avouons qu’Orphée n’est guère avantagé par la scène et qu’il a donné lieu à des interprétations plutôt déconcertantes. Bausch n’est pas loin d’en avoir réussi la plus parfaite illustration, y lisant une parabole chrétienne clairement signalée par la présence d’une Madone aux roses de sang. Sa chorégraphie refuse le commentaire pour s’immiscer dans une action dramatique notoirement faible mais qu’elle renforce singulièrement. Les trois chanteurs se dédoublent en trois danseurs, le corps de ballet déploie l’espace dramatique en lui donnant des ailes.
Des quatre tableaux, Violence, l’acte des enfers, reste le plus saisissant, avec son Cerbère à trois têtes incarné par trois danseurs vêtus de tabliers d’équarisseur dont l’éloquence implacable abasourdi. Nicolas Paul, Vincent Cordier et Yong-Geol Kim font un trio de terreur assez inoubliable, et Bausch a peuplé ses Hadès d’une poignée de mortels tremblants au bout des fils de leurs vies, image bouleversante qui créée une suractivité en phase avec les folies rageuses de l’orchestre de Gluck.
Paix avec son jardin reste peut-être trop lisse, pas assez serein, Bausch n’aime pas l’idée du bonheur, c’est connu, et ne s’en sert que comme d’une transition pour le dernier tableaux, Mort, où elle refuse le happy end idiot concluant l’œuvre par la reprise de la symphonie des enfers suivi de la déploration. Un cadre de lin blanc ouvre l’espace en hauteur, créant à la fois une sensation de lumière et d’asphyxie. Yann Bridard donnait à son Orphée un caractère de déploration touchant, le parant d’une élégance blessée que Charlotte Hellekant essayait de retrouver dans son chant. Elle y parvenait, et adoucissait la traduction allemande de la version parisienne à laquelle Bausch n’a pas voulu renoncer, tant les vertus expressives de sa chorégraphie sont inextricablement liées au texte germanique.
Sa déploration, presque trop pianissimo, atteignait à une sorte de magie minimaliste à l’encontre du pathos qu’on y déploie souvent. Une Amour enjoué, dansé comme un elfe souriant par Miteki Kudo pâtissait du chant pâlissime et de la microscopique projection d’Aleksandra Zamojska (heureux ceux qui ont pu y entendre Cassandre Berthon !) . Pour Eurydice, comme pour Orphée, le doublé entre l’incarnation noble et torturée de Marie-Agnés Gillot et le chant ample de Jaël Azzaretti tenait du miracle.
En fosse, Thomas Hengelbrock saisissait toute la poétique de Gluck et réussissait un acte des Enfers implacable et sauvage comme on entend rarement, sinon sous la baguette de Marc Minkowski. La finesse et l’énergie de ses musiciens et de ses choristes appliquait la touche de perfection à cet opéra dansé qui a effacé de notre mémoire bien des mises en scène d’Orphée et Eurydice. Puisse cette résurection miraculeuse s’inscrire une bonne fois pour toute au répertoire de l’Opéra de Paris.
Jean-Charles Hoffelé
Photo: Opéra de Paris/DR
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