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Strasbourg - Compte-rendu : La Folle journée d’un Don Juan
Achim Freyer a su donner vie au « chef-d’œuvre des chef-d’œuvres » : le Don Giovanni de Mozart. Situer l’action sur un tréteau de foire et la commedia dell’arte avec pour seul décor un rideau, qui participe amplement à l’action pouvait sembler une idée incongrue, et pourtant force est de constater que tout fonctionne à merveille avec une logique implacable. Les masques de la commedia dell’arte donnent force et puissance au dramma giocoso né de la collaboration de deux auteurs de génies.
L’Orchestre Philharmonique de Strasbourg n’est pas en reste dans cette conception. L’entente entre Jane Glover et Achim Freyer s’avère totale. Avec une direction vive et acérée, elle donne à la partition un élan et une tonicité très respectueux des nuances de la partition. Les récitatifs fusent, et font partie intégrante de l’action - ce qui est rare de nos jours. Le pari n’était pas gagné d’avance : plusieurs spectateurs à l’entracte émettaient même des doutes quant aux capacités d’un chef féminin de donner vie à cette partition. Le machisme n’est pas encore mort en France...
La distribution parfaite en tout point est dominée par le Leporello de Renato Girolami. Avec une voix bien timbrée et souple il donne à son personnage toute la vis comica souhaitée. Don Juan perce dans cette voix superbe. Le rôle du dissoluto est tenu par un Laurent Naouri en grande forme. Intelligence du texte, phrasé impeccable (une superbe sérénade), un personnage à double face où l’ironie est constamment présente. Ce Don Juan-là se rit de son destin et fonce droit dans le mur avec une délectation jouissive ! Achim Freyer donne du personnage de Don Ottavio une vision qui nous change de l’amoureux transi et sans couleur qui habite généralement le personnage. Ses deux airs sont chantés avec force et conviction, la voix souple et bien timbrée négocie les vocalises de sa deuxième aria avec une technique impeccable.
Excellent Masetto de Nicolas Testé, voix noire et puissante, récitatifs déclamés avec intelligence ; un grand Don juan se cache sous les oripeaux du paysan. Les « Donn »e ne sont pas en reste. Véritable furie, la Donna Anna de Claire Rutter ne s’attarde pas sur son malheur : tout est récité, chanté avec une rage où seul la vengeance à sa place ! Son « Don Ottavio son morta », de même que « Non mi dir », sont interprétés avec une technique à toute épreuve, de belles nuances, ainsi qu’une intelligence de ton qui n’est pas sans rappeler Elisabeth Grummer. L’Elvire d’Alexandra Coku apparaît digne des plus grandes, son récitatif et aria « Mi tradi » composé pour la reprise de Vienne, est chanté avec finesse et intelligence, dans cette vision Elvire fait figure de femme blessée et aimante, et non pas de harpie poursuivant son infidèle époux de ses invectives. Zerline intelligente de Valentina Kutsarova, qui avec une voix corsée ôte le côté soubrette trop souvent accolé au personnage.
En bref, un Don Giovanni plein de finesse, où les superbes costumes et masques de Maria Elena Amos, de même que les splendides lumières de Kurt Wogatzke, donnent vie à cette folle journée, et prouvent si besoin était qu’une surcharge de décors n’est absolument pas nécessaire au déroulement de l’action.
Bernard Niedda
Opéra du Rhin, Strasbourg, le 11 mars 2006
Photo : DR
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