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Paris - Compte-rendu : Changement de cap. De nouvelles Noces de Figaro pour Garnier.
Evidemment, pour le public de Garnier, habitué depuis des décennies au spectacle d’époque- et d’anthologie ! - de Giorgio Strehler, le contraste est plus que rude. Une douche froide. Non, vous n’irez plus aux Nozze avec cette certitude d’une promesse de félicité, ce doux ronronnement d’un plaisir confortable. Avouons que même si nous regrettons l’âge d’or de ce spectacle – les représentations de la fin des années soixante dix et du début des années quatre vingt – il s’était vidé progressivement de sa substance malgré les efforts d’Humbert Camerlo.
Il fallait donc de nouvelles Noces à l’Opéra de Paris. Mais fallait-il celles de Marthaler ? Beaucoup auront certainement eu le sentiment de payer une place pour Garnier alors qu’on les priait d’assister à une mise en scène qui aurait trouvé un cadre plus approprié aux Ateliers Berthier. Le public de Salzbourg avait eu la même réaction, mais le public de Salzbourg….et bien justement est un peu comme le public de Paris, encore trop conservateur. Surtout lorsqu’il a en tête le souvenir magique du spectacle de Strehler, qui d’ailleurs n’était un spectacle que par surcroît, bien plutôt l’œuvre dans sa littéralité.
Rien de particulièrement choquant – sinon alors tout – dans la transposition de Marthaler. Cette Allemagne de l’est qui sent ses Deschiens nous amuse un temps bien qu’elle s’épuise assez vite. Pourtant, les Noces résistent mieux au laminage tranquille que leur fait subir le régisseur que, par exemple, Katia Kabanova, alors qu’à peu de choses près les contresens y sont identiques. La force de l’ouvrage, et la rapidité du mouvement, du tactus de l’œuvre marginalisent toutes les tentatives de Marthaler, et on retrouve ses marques presque immédiatement. Il y a bien sûr de vraies scories (cette machine à écrire sur le duo Suzanne-Comtesse) et des scories qui n’en sont pas (tout ce que fait le « recitativiste » de Jürg Kienberger, il vous agacera certainement beaucoup avec son contre spectacle dans le spectacle et ses instruments improbables, mais guettez son Glassharmonica), et l’on n’est pas forcé d’apprécier l’humour assez teuton, plutôt appuyé, qui s’étend d’une façon automatique aux quatre actes.
Marthaler a eu une chance certaine avec sa distribution parisienne : Le Comte de Peter Mattei, la Suzanne d’Heidi Grant Murphy, la Comtesse de Christiana Oelze, tous sont des acteurs autant que des chanteurs (et parfois plus des acteurs que des chanteurs). Et l’on peut se poser la question fatidique (on se la posait d’ailleurs déjà sotto voce après le Don Giovanni d’Haneke) : que deviendrait l’entreprise avec la Comtesse de Margaret Price, le Comte de Tom Krause, le Chérubin de Berganza, que deviendrait ce concept de théâtre premier avec des chanteurs d’opéra au sens classique du terme? Car une part importante du doute que l’on peut émettre sur le travail des metteurs en scène de théâtre à l’opéra vient justement du fait qu’ils rejettent la réalité du monde lyrique.
A ce jour, seul Patrice Chéreau a su réussir la quadrature du cercle, et l’on se doute que Marthaler n’y pense même pas. Voilà, c’est fait, cette nouvelle production des Noces sera pour quelque temps la version de l’Opéra de Paris, et reprise dés la saison prochaine. Seul le temps permettra de dire si elle s’installera dans les mœurs du public. En tous cas la musique n’a guère souffert, malgré la manie de détailler et de « réhabiter » les récitatifs, décidément la grande trouvaille de cet anniversaire Mozart. Sylvain Cambreling dirige sec, banni la poésie, fait moderne, colle aux images de Marthaler, bien suivi par un orchestre qu’on a connu récemment plus revêche envers le chef amiénois, et en scène les plaisirs abondent, du Chérubin assez génial de Christine Schäffer à ceux que nous avons mentionné, sans oublier le Figaro déluré de Lorenzo Regazzo, où quelques silhouettes décoiffantes (la palme au Don Curzio d’Eberhard Francesco Lorenz) et une mention spéciale à la Barberine de Cassandre Berthon, soyeuse à souhait. Essayez et vous serez peut-être plus agréablement surpris que vous ne vous croyiez en droit de vous y attendre.
Jean-Chales Hoffelé
Les Noces de Figaro, Palais Garnier, le 18 mars 2006, puis les 20, 24, 27, 30 mars et les 2 et 4 avril
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Photo : Eric MAHOUDEAU/ Opéra national de Paris
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