Journal
Festival d’Aix-en-Provence - Le rêve de Wotan
-La Mère : Ah bon, ce n’est que le début…
-La Fille : Mais oui, ça c’est ce qu’on appelle le prologue, après il y a La Walkyrie, après…
Je sais plus trop et puis pour finir : Le Crépuscule des Dieux !
Cueilli au sortir de la représentation de L’Or du Rhin, ce savoureux échange le souligne à l’excès : Wagner faisait figure d’intrus pour une partie du public aixois. Mais quelle intrusion réussie du démiurge de Bayreuth dans une manifestation dont Mozart, Rossini et les baroques on fait la gloire !
Cohérence, homogénéité, fluidité : ainsi pourrait-on résumer L’Or du Rhin mis en scène par Stéphane Braunschweig et placé sous la baguette de Sir Simon Rattle à la tête de la Philharmonie de Berlin.
« La première scène de L’Or du Rhin présente toutes les caractéristiques d’un cauchemar où se révèle l’incompatibilité de ses désirs et où s’exprime son angoisse de toute frustration, pour ne pas dire castration », remarque le metteur en scène dans l’interview que renferme le programme (on le cite d’autant plus volontiers que ses propos se distinguent de l’insupportable verbiage souvent de mise dans les programmes de spectacles lyrique et qu’ils correspondent étroitement à ce que le spectateur découvre).
Le prélude se déploie. Sur scène Wotan couché sur trois sièges mis côte à côte dort. D’emblée la clé de cet Or aixois nous est fournie. Cauchemar ou rêve, Wotan figure au coeur d’une lecture où toute l’action est conçue telle une projection de la complexe personnalité du personnage central. Aidé par la direction limpide de Rattle, Braunschweig allège Wagner sans l’affadir, l’humanise sans céder à la trivialité. On aime cette manière de ne pas prendre les choses trop aux sérieux, ces pointes d’humour. La manière d’Alberich de renoncer à l’amour pour l’or ? Il arrache sa moumoute grise et laisse voir son crâne dégarni avant de se jeter sur le précieux métal ! A quoi ressemble Fasolt et Fafner ? Rien de ces balourds en équilibre périlleux sur d’improbables échasses que l’on voit souvent, mais deux solides gaillards, costumes gris anthracite et attachés-cases. De ce fait, les géants s’intègrent bien plus que de coutume au déroulement de l’action.
Le travail de S. Brauschweig exploite à plein les possibilités offertes par la vidéo, ce qui contribue à la fluidité d’un spectacle où le visuel, le musical et le vocal ne font qu’un. Une réserve toutefois sur les éclairages très froids de Marion Hewlett et Patrice Lechevallier, en particulier pour l’entrée au Walhalla. Il y a sans doute là une volonté de suggérer que le rêve de Wotan s’achève - mais une frustration aussi pour le spectateur…
On pardonne, d’autant plus aisément que le bonheur a été grand du point de vue musical. Homogène et au service d’une commune volonté de chanter Wagner, la distribution confie le rôle de Wotan à Sir Willard White qui, avec une présence rayonnante, souligne les failles et les contradictions du personnage qu’il incarne – elles sont aussi celles d’un Wagner qui s’avouait « incapable de relier l’idéalité à la réalité », comme le rappelle Braunschweig. On voudrait un peu plus de feu chez Lilli Paasikivi, mais sa Fricka ne manque pas de noblesse. Quel formidable Alberich Dale Duesing campe-t-il face à l’excellent Mime de Burkhard Ulrich ! De Loge le metteur en scène a fait un personnage très ambigu, idée à laquelle Robert Gambill adhère parfaitement. Anna Larrson (Erda) se montre à la hauteur de ce qui constitue sans doute le plus émouvant moment de l’ouvrage, tandis que Mireille Delunsch offre une touchante Freia.
Dans un style très Men in Black, Fafner (Alfred Reiter) et Fasolt (Evgeny Nikitin) forment un épatant tandem. Belles prestations de Detlef Roth(Donner), Joseph Kaiser (Froh), Sarah Fox (Woglinde), Victoria Simmonds (Wellgunde), Flosshilde (Ekaterina Gubanova).
Au moment des saluts, le héros de la soirée se nomme toutefois Sir Simon Rattle. L’Orchestre Philharmonique de Berlin a en effet offert une lecture limpide, exempte de toute emphase, attentive au détail, chambriste par bien des aspects. Sans doute aurait-on apprécié une pointe de tension en plus par instants. Ne boudons cependant pas notre plaisir car la conception du maestro britannique faisait idéalement corps avec celle défendue par le metteur en scène et les chanteurs.
Le Festival de Pâques de Salzbourg accueillera le premier volet du Ring aixois l’an prochain, tandis que La Walkyrie sera à l’affiche de la soirée inaugurale de la nouvelle salle de 1300 places dont Aix attend l’ouverture pour le 29 juin 2007.
Alain Cochard
Festival d’Aix-en-Provence, 4 juillet 2006.
Voir la programmation détaillée du festival.
Lire l'article : Aix en Provence - Passage de relais
Photo : DR
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