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La Chronique de Jacques Doucelin - Gare à la multiplication des salles !
Nous évoquions le mois dernier les conséquences dévastatrices de la réouverture de Pleyel entièrement rénovée dans le Landerneau des salles parisiennes. Il va bien falloir que ces dernières « digèrent » cet afflux subit de 1.800 fauteuils supplémentaires offerts au public mélomane. Or, comme nous l’avons maintes fois rappelé ici même, ça n’est qu’un début. Car une information récente n’a pas franchi le barrage des rédactions des divers journaux parisiens, c’est la visite, tout ce qu’il y a d’officiel pour ne pas dire symbolique, du premier ministre à La Villette. Il s’agissait, d’une part, de mesurer l’état d’avancement des travaux de rénovation de la Grande Halle, et d’autre part, de faire le point sur les études préalables à la construction d’un nouvel auditorium de 2.200 places venant compléter à échéance 2012 la Cité de la Musique et, partant, de rendre irréversible ce projet décidé conjointement par l’Etat et la Ville de Paris à la rentrée dernière.
La conjoncture économique et sociale ainsi que l’endettement du pays devraient pourtant rendre ses responsables – et d’abord ceux et celles qui sont susceptibles d’arriver aux manettes de commandement pour le prochain quinquennat – économes des deniers publics. Il ne s’agit pas seulement, en effet, de débloquer des crédits pour la construction d’un nouvel outil, mais d’envisager aussi son coût de fonctionnement eu égard à son utilité réelle. On s’étonne, pour le moins, d’une telle légèreté de la part de l’Etat comme de la Ville qui se sont engagés tête baissée dans ce projet effectivement réclamé depuis des lustres par les plus grands musiciens français, de Boulez à Dutilleux, sans avoir préalablement mené une enquête sérieuse sur les véritables besoins du public ainsi que sur les coûts de gestion de ce nouvel équipement.
Tous ces braves gens se seraient alors aperçu de l’existence d’un projet de construction d’un autre nouvel auditorium, de 1500 places celui-là, pour 2012 également, à Radio France !! Il faudra donc faire après coup – entendez après les prochaines élections – ce par quoi on aurait dû commencer… C'est-à-dire réunir tous les exploitants de salles parisiens afin de procéder à une redistribution des tâches de chacun. Au lieu de cela, on laisse se développer le plus détestable esprit de rivalité entre eux - alors même que tous ne vivent que du produit de nos impôts ! - ce qui n’a évidemment rien à voir avec une saine émulation. C’est d’autant plus idiot qu’Etat et collectivités locales ont hérité le privilège régalien de subventionner la culture dans l’Hexagone. La question n’est pas de savoir si cela est bien ou mal: c’est un fait, et qui n’est pas moins têtu que les autres. C’est pourquoi mieux vaut le prendre en compte avant d’arrêter toute décision qui engage l’avenir.
Cela n’ayant pas été fait AVANT les élections, cela devra donc être effectué APRES, comme on fait des contrôles a posteriori. C’est l’une des joyeusetés de notre République jacobine. Mais il y aura urgence et ce pour au moins deux raisons déterminantes : d’abord, le public payant pour la musique classique, l’opéra et la danse, n’est hélas pas extensible à Paris où l’on peut même constater qu’avec la baisse du pouvoir d’achat des classes moyennes, la demande a une fâcheuse tendance à décroître, ensuite, le nombre d’artistes susceptibles de remplir, et donc de faire vivre de grands lieux, n’est nullement extensible. Si la pénurie d’auditorium symphonique fut longtemps une plaie de la vie musicale à Paris, leur multiplication aussi anarchique que soudaine va poser, à terme, des problèmes financiers et artistiques non moins redoutables. C’est une question de management coordonné de nos principales institutions musicales. Sauf, bien évidemment, à remplir gratuitement ces nouveaux lieux avec des bus scolaires le mercredi, et des cars de retraités les autres jours…
Dès lors que l’Etat et la Ville se révèlent incapables de mettre en place les indispensables instruments de coopération entre les différentes salles, on ne prend aucun risque à prévoir la pire des cacophonies ! Va-t-on transformer la salle Pleyel en hôpital ou en HLM dès 2012, avant même que l’Etat n’ait fini de payer les rocambolesques cinquante annuités qu’il doit à son propriétaire privé ?... ! Car on nous dit déjà que l’Orchestre de Paris s’en ira « chez lui » à La Villette promue « Maison des orchestres ». Mais de quels orchestres parle-t-on ? Ceux de la Radio devraient être rapatriés, pour leur part, dans le nouvel auditorium de Radio France, vidant du même coup le Théâtre des Champs-Elysées de la saison du National et Pleyel de celle du Philharmonique. Pour animer les deux nouvelles salles, on prend le risque de vider d’un coup en 2012 et le Théâtre des Champs-Elysées et Pleyel. Il faudrait tout de même réfléchir à ce qu’on fait ! On ne saurait trop alerter la Cour des Comptes et le ministère des Finances sur ce type de gabegies.
Autre exemple : on se réjouit, certes, qu’enfin feu l’Opéra Comique dispose à partir de la prochaine saison d’une subvention autre que symbolique pour produire des spectacles. Mis à l’aise, Jérôme Deschamps pourra faire ce que Jérôme Savary n’avait pas les moyens de réaliser. Ce faisant, la salle Favart marche à l’évidence sur les plates-bandes du Théâtre des Champs-Elysées, voire du Châtelet : comme si ces deux salles n’avaient déjà pas assez de problèmes de remplissage avec la réouverture de Pleyel !
Vous me direz qu’il y a fort à parier qu’au moins un des deux projets de nouveau lieu ne survivra pas aux élections. Mais les espoirs négatifs ne sont jamais de bon augure pour l’avenir des démocraties.
Jacques Doucelin
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