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Mort de Mstislav Rostropovitch, Slava un archet dans le siècle

Un mois juste après l’hommage solennel organisé par le président russe Vladimir Poutine à l’occasion du quatre-vingtième anniversaire de Mstislav Rostropovitch, le plus grand violoncelliste de la fin du XX è siècle s’est éteint dans un hôpital de Moscou.

C’est à croire que le violoncelle prédispose à la révolte et à l’opposition. En effet, les deux plus grands violoncellistes du XXe siècle, Pablo Casals pour la première moitié, Mstislav Rostropovitch pour la seconde, se sont successivement dressés contre les dictatures dans leurs pays respectifs : le Catalan choisit le silence au pied des Pyrénées, à Prades, pour mieux défier Franco, le Russe recueillit chez lui l’écrivain persécuté Soljenitsyne narguant ainsi le régime soviétique, avant de payer chèrement cette audace. Deux immenses musiciens qui sont aussi de hautes figures morales. Ainsi, l’un comme l’autre ont-t-ils très largement débordé la petite sphère de la musique pour devenir des symboles de la lutte contre l’oppression d’où qu’elle vienne.

Mais si Casals se referma sur son chagrin et se replia au pied du Canigou pour ne plus jamais jouer dans le monde, Rostropovitch adopta une attitude totalement inverse. Elle correspondait à sa nature généreuse et extravertie qui lui faisait embrasser tout le vaste monde comme il étreignait sur son cœur tous ses visiteurs et tous ses interlocuteurs. Il avait une véritable fringale de vie et d’amour. Si la passion qui l’animait se reflétait intensément sur son visage et dans sa gestique lors de ses interprétations, l’intelligence de cet artiste d’exception était aussi d’une acuité rare. Il y avait du diplomate chez Slava : il savait tout et n’oubliait rien, sauf ce qu’il voulait. Il faisait parfois penser à un autre musicien particulièrement généreux à l’endroit de ses collègues : Franz Liszt, pianiste et chef d’orchestre qui ferrailla pour les compositeurs de son temps, de Schumann à son gendre Wagner. Lui aussi fut un citoyen du monde, d’un monde certes sans Concorde et sans TGV, qu’il parcourait en malle-poste.

Rostropovitch fut d’abord roi chez lui, reconnu par ses pairs, Prokofiev, Chostakovitch, Sviatoslav Richter. Il dut attendre 1964, à 37 ans, pour passer le rideau de fer et rencontrer les principaux compositeurs européens occidentaux, Berio, Britten et Dutilleux qui écrivirent alors pour lui des œuvres essentielles du XXe siècle. Dix ans plus tard, en 1974, ils l’accueilleront lorsqu’il quittera l’URSS dans la plus grande détresse morale. Puis, en 1978, c’est à Paris que son épouse Galina Vichnevskaïa et lui apprennent qu’ils sont déchus de leur nationalité par les autorités soviétiques. Ils ne la récupéreront qu’en 1990 au gré de la perestroïka. Dès qu’ils pourront retourner dans leur patrie, ce sera pour aider à l’ouverture d’hôpitaux pour enfants. Dans l’intervalle, saisi d’une vraie boulimie musicale, Slava s’est dépensé sur toute la planète comme soliste derrière son violoncelle comme sur l’estrade de chef à la tête de l’Orchestre de Washington pour lequel il passera commande notamment à ses amis français Henri Dutilleux (« Timbre, espace, mouvement ») et Marcel Landowski (« Un enfant appelle ») qui saura le faire entrer à l’Institut de France en tant que membre associé.

Cette fidélité à la France qui avait su accueillir l’exilé, créa des liens indestructibles. C’est ainsi qu’à 91 ans, Henri Dutilleux fit voici un mois le voyage à Moscou pour ce qu’il savait être sa dernière rencontre avec Slava. Avec le luthier Etienne Vatelot et Mme Jacques Chirac, Rostropovitch créa à Paris le concours de violoncelle qui porte son nom. Mais s’il avait acquis un appartement dans la capitale française, c’est dans son pays que Slava décida de mourir pour y reposer parmi les siens. Cette forme de pardon à sa patrie qui l’avait humilié ne risque pourtant pas de ternir son image de citoyen du monde. Personne n’oubliera, en effet, celle du violoncelliste russe jouant une « Suite » de Bach devant le mur de Berlin cédant sous les assauts de la liberté en 1989. Ce jour-là, le musicien et l’homme Rostropovitch ne faisaient qu’un.

Jacques Doucelin

Les hommages à Mstislav Rostropovitch ne manqueront pas dans les jours et les semaines qui viennent. On notera en particulier quatre séances de musique filmée les 2 et 3 juin à l'Auditorium du Louvre.

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Photo : DR
 

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