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Paris - Compte-rendu : 334 ans de réflexion, l’Opéra affiche l’Affaire Makropoulos
Transposition assez inévitable : dès l’ouverture le rideau d’une salle de projection s’ouvre, et l’écran s’anime, alternant des séquences de Sunset Boulevard, de King Kong et quelques prises d’actualité capturant le sourire et les pleurs de Marylin Monroe. On sera donc à Hollywood, et Emilia Marty clonée en Marilyn. Warlikowski lui fait souffler sa jupe vaporeuse par le courant d’air mythique de Sept ans de réflexion durant une bonne partie du I. Image, image, quand tu nous tiens. Mais évidemment rien n’est aussi simple qu’il y paraît et Warlikowski n’est pas homme à filer une métaphore tranquille.
On réalise vite qu’en fait rien n’est transposé, mais qu’on se trouve plutôt en face d’une translation poétique. Hollywood n’est qu’un prétexte pour faire apparaître King Kong grandeur nature. Emilia, sortant de scène, dans ce qui est durant tout l’opéra son seul véritable moment de bien être, se prélasse dans la grande paume du gorille, à l’abri, heureuse, retombée en enfance en quelque sorte. On soupçonne Warlikowski de n’avoir reporté l’action à Hollywood que pour cette fantaisie qui fait sens. Mais la réalité rattrape vite Emilia. Et l’enfer de sa quête qu’elle semble savoir vaine dès son entrée en scène la reprend cruellement.
Le tour de force de cette production luxueuse au possible – décors, costumes, éclairages composent une symphonie visuelle qui semble seulement en surface en contradiction avec la musique de Janacek - c’est bien de détruire la légende du personnage : Emilia Marty n’est pas un monstre, mais un être traqué, une femme détruite par la brutalité d’un monde masculin, livrée au seul désir violent des hommes : la scène où elle montre à Albert les blessures que lui ont laissé ses anciens amants prends enfin tout son sens.
Ce constat établi, Warlikowski brode autour du thème de la victime une suite de variations cruelles dont les plus brillantes restent celle de la désertion absolue de l’amour et celle de l’éternité vidant la vie humaine de toute sa substance. Peu à peu l’étau se resserre, la vérité se fait, préparant le triomphe assez suicidaire de l’héroïne. Oui, elle a tout vécu, elle a épuisé le sel de la vie et pourtant la peur de la mort exige d’elle de vivre encore. Mais parvenue à la limite, éprouvant enfin la proximité imminente de l’agonie, elle cesse de fuir, autant devant la réalité des hommes qu’elle a depuis longtemps dépassée mais dont elle restait pourtant prisonnière que devant cette crainte de la mort. Après sa perte de connaissance, Warlikowski raréfie l’atmosphère générale, les surtitrages même montent sur le fond de scène comme sorti d’une eau létale, tremblants.
Le spectacle est d’une telle richesse, répondant parfaitement à la complexité inextinguible de la pièce de Capek, qu’il vous poussera probablement à le voir plusieurs fois. Pour nous on n’a jamais mieux saisi la force morale que Janacek a mise dans cette partition. Distribution internationale : Angela Denoke est la plus subtile des Emilia que nous ayons vue : elle dessine un personnage attachant, mais la voix reste sèche, indurée, et manque de vision et de pur lyrisme dans la grande scène finale. Charles Workman, idéalement séducteur, souffre un peu devant la tessiture si haute d’Albert Gregor, et l’on songeait plus d’une fois qu’Ales Bicsein, parfait dans les défroques adolescentes de Janek, aurait triomphé plus facilement de ses aigus tendus.
Vincent Le Texier campait un Jaroslav Prus tour à tour rapace et furieux – lorsqu’il apprend le suicide de Janek – criant de vérité. Parfaite Krista mutine et rouée de Karine Deshayes, Paul Gay au baryton mordant donnait à Kolenaty un relief inhabituel. Et pour Hauksendorf Ryland Davies tentait un attachant portrait de fou qui aurait enchanté Janacek. Direction tourmentée de Thomas Hanus, parfois pas assez âpre mais avec un orchestre aussi augmenté pour la fosse de Bastille c’était inévitable.
Jean-Charles Hoffelé
Janacek : L’Affaire Makropoulos. Opéra Bastille, le 27 avril, puis le 30 avril et les 4, 8, 11, 14, 16 et 18 mai 2007
Le programme détaillé de l’Opéra Bastille
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Photo : Christophe Pelé
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