Journal
Interview de Roberto Alagna - Famille je vous aime
Roberto Alagna créera le 8 juillet au Théâtre des Champs-Élysées Le dernier jour d’un condamné, un opéra composé à six mains, avec ses frères David, qui s’est chargé de la musique, et Frédérico, auteur du livret. Mais tout cela est un peu plus compliqué….
CC : Comment en êtes-vous arrivé à choisir le Dernier jour d’un condamné pour sujet d’un opéra. Etes-vous un fervent lecteur de Victor Hugo ?
Roberto Alagna : J’aime beaucoup lire, c’est une activité silencieuse, j’économise ma voix en lisant pour moi même. Et j’aime tout autant voyager, or le livre invite souvent à un voyage immobile. J’étais à Chicago depuis deux mois, c’était en 1999, je m’ennuyais de l’Europe, lors d’une conversation téléphonique avec mon frère Frédérico je lui avais dit « Je me sens comme un condamné à mort ». Il m’avait envoyé aussitôt le livre de Victor Hugo. Dès que j’ai commencé à le lire j’ai entendu une musique, pas seulement la musique des mots d’Hugo, mais une musique qui venait probablement de mon mal du pays. J’ai appelé Frédérico : je savais que je tenais là un bon sujet d’opéra et pas seulement à cause du thème de la peine de mort, toujours autant d’actualité. Il m’a rétorqué du tac au tac : « Et bien tu n’as qu’à commencer à en écrire le livret ». Ce que j’ai fait immédiatement. Puis, je l’ai envoyé à mes frères, Frédérico l’a modifié : il en a fait une véritable intrigue théâtrale avec une action qui ne retombait pas, faisant intervenir des personnages comme l’aumônier ou l’huissier. Le risque c’était de faire un opéra qui ne soit qu’un long soliloque. Je suis par la force des choses en scène du début à la fin de l’ouvrage qui dure tout de même une heure et demie. Frédérico en a tiré deux actes de vrai théâtre.
CC : Dans sa préface de 1832, Hugo rapporte le cas d’une femme que l’on mène à la Guillotine sur la place de grève de Dijon, et insiste sur l’horreur du supplice : la guillotine avait mal fait son ouvrage, il a fallu achever la condamnée au couteau. Est-ce le cas de cette femme qui a donné à votre frère l’idée de créer le personnage de la condamnée ?
Roberto Alagna : Non, Frédérico avait déjà resserré considérablement l’action dramatique. On avait confié le livret à mon frère David qui voulait le mettre en musique. On lui avait dit que lorsque l’inspiration viendrait à se tarir on l’aiderait, mais le sujet l’a inspiré et il n’a pas flanché. C’est lui qui a eu l’idée d’ajouter le personnage de la condamnée en voyant à la télévision un reportage d’Envoyé Spécial sur la condition des femmes noires américaines emprisonnées dans le couloir de la mort. Il a ainsi créé un contrepoint et donné au sujet une résonance contemporaine puissante, il en a accru et également en quelque sorte aéré la dramaturgie. Et cela ajoute en émotion car la condamnée est mère, elle chante d’ailleurs une aria où elle évoque sa petite fille, Marie.
David a écrit une musique assez formidable, Michel Plasson aime visiblement son travail qui l’a même surpris. C’est une musique souvent dissonante, qui rend bien compte des tensions des situations, elle ne rend pas évidente l’intonation pour les chanteurs. Il a également utilisé une voix off, celle qui réveille le condamné en lui rappelant qu’il est sous la menace de la peine capitale. Et d’autres aussi qui caractérisent les fantômes, tous ces spectres qui assaillent le condamné. A la fin David a composé une tarentelle ponctuée d’interjections, de cris, quasi tribale ; c’est un hommage à nos origines siciliennes. David est parvenu à écrire une musique vraiment contemporaine mais qui conserve une certaine idée du bel canto. Structurellement c’est un ouvrage assez classique, avec ouverture, chœur, un air pour chacun des protagonistes, deux actes. Frédérico et David sont mes cadets de dix années, ils ont grandi avec l’univers de l’image, et cela se sent dans leur manière d’aborder l’opéra, aussi bien dans leurs mises en scène que dans leur travail commun sur cette œuvre.
CC : Vous avez déjà d’autres projets ?
Roberto Alagna : Frédérico travaille sur un livret assez étonnant, les intrigues autour de l’élection du dernier Pape.
CC : Le public de l’Opéra Bastille vous espérait cette saison en Gabriele Adorno à l’occasion de la reprise de Simon Boccanegra. Pourquoi n’êtes vous pas venu ? A cause de la médiocrité de la production ?
Roberto Alagna : Clairement oui. Je n’avais pas chanté à Bastille depuis des lustres et je ne pouvais pas y retourner dans une telle production. A l’origine j’avais accepté car Gérard Mortier voulait monter le Faust de Gounod dans l’adaptation que mes frères avaient réalisée. Mais on m’a tant mis en garde devant la médiocrité du spectacle que j’ai dû renoncer. Evidemment, Gérard Mortier a lui aussi renoncé au Faust….Mais Nicolas Joël m’a demandé de reprendre Faust pour lui à Paris, sans faire appel cependant à la version de mes frères. J’ai accepté bien entendu ; nous sommes liés depuis tant d’années par une solide amitié.
CC : Devant le succès remporté par votre album Berlioz chez EMI et aussi parce qu’il semble que votre ténor soit idéal pour ce répertoire on s’étonne de ne pas vous voir aborder Enée, alors que tout vous désigne comme le grand interprète de ce rôle dans votre génération….
Roberto Alagna : On me l’a encore proposé cette semaine et je suis vraiment amoureux de ce rôle, mais à chaque fois, que ce soit pour l’enregistrement que voulait réaliser EMI avec Michel Plasson, pour le Châtelet ou pour James Levine à New York, les dates ne convenaient pas. Non seulement j’adore le rôle mais Les Troyens sont tout simplement mon opéra favori. J’aime leur climat mythologique. Je pense qu’on n’a pas encore trouvé le juste équilibre pour monter cette œuvre. Il faudrait tenter quelque chose de nouveau. Il faut rêver dans cette œuvre, c’est une grande fresque.
CC : Quels sont les nouveaux rôles que vous allez inscrire à votre répertoire ?
Roberto Alagna : Outre le Condamné je créerai le Marius du Marius et Fanny de Kosma à Marseille. Pagnol, c’est une religion dans notre famille. Je lisais encore « Marius » et « Fanny » voici peu avec ma fille. Vladimir Kosma a déployé tout son génie de mélodiste dans cet opéra. Vous rentrez chez vous avec les airs dans la tête.
CC : Vous avez toujours montré un intérêt pour des ouvrages oubliés, le meilleur exemple demeurant le splendide Cyrano d’Alfano. Nous réservez-vous d’autres résurrections de cette trempe ?
Roberto Alagna : Je cherche toujours des ouvrages à exhumer. J’ai découvert l’Hamlet de Franco Faccio, le chef d’orchestre favori de Verdi, l’époux de la Stolz, et j’espère bien faire réentendre cette partition. Je m’intéresse beaucoup aussi à un opéra de Rubinstein, je ne vous dirai pas lequel, je ne veux pas qu’on me prenne mon idée.
CC : Les Troyens est donc votre opéra favori. Voulez-vous répondre à petit questionnaire de Proust ?
Roberto Alagna : Je vous en prie
CC : Votre livre favori
Roberto Alagna : Celui que je suis en train de lire. Non, sans rire j’ai des goûts très éclectiques, j’aime découvrir des auteurs. J’aime beaucoup Eric-Emmanuel Schmitt. Je suis en ce moment dans la Thaïs d’Anatole France et dans un Beigbeder…J’essaye de transmettre l’amour de la lecture à ma fille, nous lisons beaucoup ensemble.
CC : Votre film favori
Roberto Alagna : Le Parrain. Vous devinez pourquoi ? Parce que cela me donne une image mythifiée de la famille sicilienne. Mon arrière grand-père a vécu toute son existence à Little Italy. Ce film a des résonances profondes en moi. Lorsque je pense à ma famille, j’ai des images du Parrain qui me viennent.
CC : Votre tableau favori
Roberto Alagna : Ceux de mon frère, un de mes frères est peintre, un autre sculpteur ; je joue les mécènes familiaux. Lorsque je reviens de voyage je trouve toujours un nouveau tableau ou un nouveau bronze, parfois même la maison s’en trouve totalement chamboulée.
CC : Lequel de vos disques emporteriez vous sur l’île déserte ?
Roberto Alagna : Sans hésitation celui que j’ai enregistré avec mes frères. EMI l’avait intitulé Serenata, ce qui est réducteur. C’est un autoportrait qui montre l’évolution de mon répertoire, de la chanson à l’opéra. Et puis le souvenir de ces séances d’enregistrement en famille, quel bonheur !
Entretien réalisé par Jean-Charles Hoffelé, le 2 juillet 2007
Photo : Studio Harcourt/Universal Music
Derniers articles
-
26 Novembre 2024Récital autour de Harriet Backer à l’Auditorium du musée d’Orsay – Solveig, forcément – Compte-renduLaurent BURY
-
26 Novembre 2024Alain COCHARD
-
26 Novembre 2024Alain COCHARD