Journal

Paris - Compte-rendu : L’Amérique de Boulez

On n’est pas près d’oublier le dernier week end de septembre qui a mis un terme somptueux à la rentrée symphonique parisienne. Il est rare, en effet, de rester deux jours de suite à de tels niveaux ! Samedi 29 septembre au Théâtre des Champs-Elysées, Mariss Jansons (photo) donnait une vraie leçon de style à la tête de son Orchestre de la Radio bavaroise avec l’ultime Symphonie de Haydn et la 7e de Bruckner inscrites l’une et l’autre dans la plus pure tradition de cette phalange (concert retransmis par France Musique le 25 octobre à 20h). Le lendemain après-midi salle Pleyel, Pierre Boulez et l’Ensemble Modern confrontaient dans le cadre du Festival d’Automne la jeune garde (Mark André,Enno Poppe et Matthias Pintscher) aux classiques du XX è siècle Varèse et… Boulez.

Mariss Jansons ne s’est pas contenté de se reposer sur le travail de ses brillants prédécesseurs ni sur l’acquis de ses musiciens : il ne les lâche jamais ! Il sait voir dans l’adieu de Joseph Haydn à Londres et à la symphonie, en 1795, le passage de témoin à son élève Beethoven, même si cela demeura, à l’époque, largement inconscient : le grand chef, c’est celui qui force ainsi le mystère des œuvres en les replaçant dans leur exact contexte pour leur faire avouer leur rôle charnière dans l’histoire de la musique.

A deux siècles de distance, Boulez ne fit pas autrement avec Amériques de Varèse dont il a livré une version proprement inouïe à ce jour. Là aussi, la culture du chef, qui se confond bien évidemment avec l’expérience et l’amplitude du répertoire, reste déterminante. Au milieu du déchaînement des fameuses sirènes de New York, Boulez a rendu audible la rage aussi joyeuse qu’iconoclaste avec laquelle Varèse par sa fuite outre Atlantique a rompu avec la tradition parisienne d’alors en lacérant littéralement Le Sacre du printemps de Stravinsky, Debussy, voire Ravel et Falla, prouvant par là que même les révolutionnaires, à commencer par Pierre Boulez, prennent toujours appui sur la tradition. Ne serait-ce que pour la contrer !

C’est aussi l’avenir qu’annonçait, la veille, Mariss Jansons avec la 104eme Symphonie de Haydn : ils sont rares, en effet, les chefs et les orchestres non baroques à oser se risquer aujourd’hui dans le classicisme viennois ! C’est pourtant essentiel quand on a affaire à des novateurs, à des inventeurs de la trempe de Haydn qu’il est vain de vouloir à tout prix enfermer dans l’univers étroit de l’authenticité devenue le nouvel académisme. Quant à la 7eme Symphonie de Bruckner, qui aurait pu, de bonne foi, la taxer de lourdeur, tant elle n’était que poésie incandescente ?

Boulez défend toujours ses jeunes collègues avec autant d’abnégation. Ainsi de Mark André dont Auf II ne parvient guère à se dégager de formules mille fois entendues dans le dernier demi siècle. Les deux autres créations françaises ont constitué d’excellentes surprises. Obst d’Enno Poppe propose quatre natures mortes en forme de paysages sonores très bien venus et dans sa brièveté Towards Osiris de Matthias Pintscher est d’une formidable originalité. Conclusion en forme de bonheur parfait : le maître dirige cinq de ses Notations (I, VII, IV, III, II), éclats de gemmes multicolores où se concentre l’art d’orchestrateur incomparable d’un compositeur inscrit dans une tradition. Qui sait ainsi allier force et transparence, fluidité et profondeur, intelligence et sensualité ? La salle acclame le bel aujourd’hui et il faudra bisser la brillantissime II è Notation pour étancher sa soif de beau.

Jacques Doucelin

Théâtre des Champs-Elysées le 29 septembre 2007. Mariss Jansons, l’Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise. Programme du Théâtre des Champs-Elysées

Salle Pleyel le 30 septembre 2007. Pierre Boulez, Ensemble Modern Orchestra. Programme de la Salle Pleyel

Photo : DR

Vous souhaitez réagir à cet article ?

Les autres comptes rendus de Jacques Doucelin
 

Partager par emailImprimer

Derniers articles