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La Chronique de Jacques Doucelin - Victoire sur l’échiquier musical français
Ça phosphore dur du côté de la rue de Valois, siège du Ministère de la Culture, où jusqu’en mai on colloque et on s’entretient des problèmes financiers du spectacle vivant. Il n’y aura plus qu’à nommer une commission et le tourniquet s’arrêtera… Heureusement, qu’il y a l’initiative de la base. Mais nos braves fonctionnaires inspecteurs de la musique ne vont tout de même pas salir leurs beaux escarpins parisiens à courir la belle province !
Moi, je vous propose une excursion dans un bourg protestant du bocage vendéen. A Pouzauges, exactement, 5.000 âmes, où rôde encore du haut de son donjon perché l’ombre de Gilles de Rais. Deux superbes églises romanes, des rues propres qui reflètent le caractère industrieux des habitants et les profits qu’engendre la présence d’une marque connue de salaison qui travaille le cochon local.
Au pied du village, au milieu des champs, un drôle de lieu avec une façade géométrique en forme de damier géant qui se voit de loin : L’Echiquier avec un cinéma et une salle de théâtre au dessus. C’est dans cette belle salle polyvalente qu’a lieu, ce dernier vendredi de mars, le cinquième concert de la saison de l’Orchestre de Vendée. Le grand parking est plein : il y a cinéma, mais le théâtre s’est rempli lui aussi. Faites le calcul : plus de cinq cents personnes, soit le dixième de la population locale. Avec un tel pourcentage, l’Orchestre de Paris n’aurait aucun problème à remplir le futur grand auditorium de La Villette, alors qu’il ne fait déjà pas le plein à Pleyel… Ne plaisantons pas. Il s’agit simplement de dire que la démocratisation de la musique classique est d’abord une question de volonté et de politique, ensuite seulement une question d’argent.
Si je vous parle de cette noble phalange parisienne, c’est que justement le héros de ce soir n’est autre que l’un de ses anciens premiers violons, Claude Bardon, qui y fut aussi assistant de Daniel Barenboïm. Depuis douze ans, il a pris en main cet orchestre départemental qui mène une double action : ses membres, professeurs dans les conservatoires de la région, donnent une demi douzaine de programmes par saison et consacrent aussi une part de leur temps à l’initiation des élèves de l’école publique, c'est-à-dire qu’ils assurent la formation du public de demain… Voire, car ils sont déjà là ! De nombreux couples sont, en effet, venus à L’Echiquier avec leurs enfants. La pyramide des âges est ainsi parfaitement équilibrée. Et en fait de bourgeoisie, ce sont les habitants du bourg qui sont là, tous métiers confondus, de l’instituteur au charcutier !
Voilà donc le creuset où se réalise en fait la démocratisation de la musique dite classique dans l’Hexagone. Car le programme de ce soir est plutôt haut de gamme, la 5 è Symphonie de Beethoven et La Mer de Debussy encadrant la création mondiale de l’unique Symphonie d’un compositeur vendéen, José David, mort à 80 ans en 1993 : le Louvre au fin fond du bocage. Plus : c’est une aventure conduite crinière blanche au vent marin du chef dont la gestique reflète la profondeur de l’influence qu’exercèrent sur lui ses deux maîtres Charles Munch et Daniel Barenboïm.
Il manque peut-être à l’orchestre de ne pas se réunir plus souvent pour que tous ses talents s’amalgament. Mais il y en a assez pour qu’on admire tel ou tel solo dans Beethoven ou Debussy, et surtout pour que l’essentiel de ces chefs-d’œuvre absolus soit transmis à un public qui leur est tout acquis. Voilà des clients tout formés et tout trouvés pour les Fnac, pour l’Opéra et pour l’Orchestre national des Pays de Loire. Et pour les Folles Journées nantaises qui ne prospèrent pas dans le désert, loin s’en faut !
Ce d’autant moins qu’il n’existe pas qu’une seule phalange en pays chouan. En effet, outre la thébaïde de William Christie sise dans une ancienne bastide protestante du sud de la Vendée, dans le charmant village de Thiré, un de ses disciples le flûtiste Hugo Reyne, chef de la Simphonie du Marais, anime chaque été depuis quatre ans un Festival de musique baroque dans le Logis de la Chabotterie (1), haut lieu des guerres de Vendée. Ces spécialistes de la musique ancienne française arpentent également la région tout au long de leur saison participant notamment, le 18 juin prochain, au Festival du Printemps des Arts de Nantes et des Pays de la Loire avec un concert Rameau.
Jacques Doucelin
(1) Musiques à la Chabotterie : du 23 juillet au 12 août
Renseignements : 02 51 43 31 01. http : //chabotterie.vendee.fr
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Photo : DR
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