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Paris - Compte-rendu : La Cité à l’heure napolitaine


C’est sous la tutelle politique de l’Espagne que Naples a vécu sa différence culturelle aux XVIIème et XVIIIème siècles. Une tutelle souvent mal supportée par le petit peuple, prompt à ironiser sur les empiétements du pouvoir, peu soucieux des libertés et traditions locales.

Il n’empêche que, dans le même temps, la ville se transforme en un impressionnant laboratoire vocal, jusqu’à supplanter Venise dans les dernières décennies du Seicento. Car ici la fièvre baroque est partout : dans les façades des églises et des palazzi comme dans le lyrisme des nouvelles musiques et jusque dans l’air que l’on respire ; la rue napolitaine étant, à cet égard, un spectacle en soi, une scène animée, bigarrée, telle qu’elle n’a pas cessé, depuis, de l’être.

Tirant de ce décor effervescent son incroyable vitalité, l’école napolitaine va s’épanouir à l’opéra comme au sanctuaire. Quatre Cappelle (ou conservatoires) y sont alors florissantes, l’équivalent, à peu de choses près, des Ospedali à Venise. En tout cas, tout ce que l’art musical compte de noms fameux semble y avoir enseigné ; entre autres, à la Cappella de la Pietà de’ Turchini où œuvrent les meilleurs pédagogues, dont Francesco Provenzale, le plus grand maître parthénopéen avant l’avènement d’Alessandro Scarlatti.

Précisément, dès ce moment, les figliuoli (élèves) sont très sollicités pendant les liturgies de Noël et de Pâques pour chanter laudes, cantates et petits motets, dans les rues principales et jusque devant le palais du vice-roi, « portés par des chars allégoriques et des machineries ingénieuses (…), comme si, tels des anges, ils eussent réellement volé »…

Aujourd’hui, à près de trois siècles et demi de distance, la Cappella de’ Turchini (photo) nouvelle manière a repris le flambeau in situ, sous la direction stimulante d’Antonio Florio, son chef-fondateur. De ses illustres prédécesseurs, Florio, qui est originaire de la région voisine des Pouilles, a su retrouver les bonnes manières et, si j’ose dire, comme un style d’époque. Intuition ? Illusion ? Je ne sais, mais l’effet expressif reste saisissant. D’autant qu’à la réussite du concert vocal – où l’on fêtait le galbe belcantiste des sopranos Maria Ercolano et Valentina Varriale, la basse truculente de Raffaele Costantini et le naturel des ténors Giuseppe De Vittorio et Rosario Totaro, savoureux avocats de la cause napolitaine – s’ajoutait, pour le plus grand nombre, l’attrait de la redécouverte musicologique, à travers le réveil des cantates sacrées de Cristofaro Caresana, quasiment oublié depuis sa mort, survenue en 1709.

Né à Venise, Caresana qui s’établit à Naples vers 1656, à l’âge de 16 ans, est l’auteur de quelque 25 cantates de chambre, le plus souvent à 5 ou 6 voix et instruments. Il y impose un décor de dévotion ardente, et parfois un étrange climat hypnotique, comme dans sa cantate La Tarantella, où vibrent les rythmes magiques de la fameuse danse éponyme, censée guérir de la piqûre tant redoutée de la tarentule. On applaudit avec chaleur à l’initiative de la Cité réhabilitant ce talent majeur du Mezzogiorno, trop longtemps occulté par la notoriété de l’aîné Provenzale.

Roger Tellart

Cité de la Musique, 13 mai 2008

N. B. : Signalons que les mêmes interprètes ont enregistré les cantates de Caresana, voici quelques années, sous étiquette Opus 111-Naïve.

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Photo : DR

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