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Auch - Compte-rendu : Les Janequin se mettent à table
Trente ans de carrière déjà pour l’Ensemble Clément Janequin, familier, dès ses débuts, des humeurs mouvantes de la chanson franco-flamande.
Certes, le petit groupe, au fil du temps, s’est passablement renouvelé dans ses effectifs, mais son esprit ludique et volontiers ironique demeure inchangé. Avec comme meneur de jeu Dominique Visse, qui veille au grain en fin stratège du concert Renaissance, porté par une intuition stylistique infaillible.
A l’enseigne des plaisirs du palais et des sens, nos chantres – auxquels il faut associer le luth disert d’Eric Bellocq – viennent donc de fêter l’anniversaire dans le cadre du très convivial Festival « Eclats de Voix » qui tient jusqu’au 22 juin prochain ses assises à Auch, en Gascogne.
Un banquet musical y était proposé, « ragoût » savoureux de chants tour à tour bachiques, cynégétiques et paillards ; les plaisants ébats des convives étant tout de même encadrés par deux pieuses invocations au Père Eternel, dispensateur de tous bienfaits « envers l’humaine géniture ».
Disons que dans ce répertoire sans apprêts qui célèbre la joie du bien-boire aussi bien que l’art d’aimer et le geste gaillard, les Janequin n’ont plus guère de rivaux à leur mesure. Et, à cet égard, on rappellera la verve dévastatrice qui déjà embrasait deux de leurs albums, parus en 1994 et 2000 chez Harmonia Mundi. Des réussites emblématiques qui convoquaient le mélomane Rabelais du Quart-Livre « et autres joyeultz musiciens, tretous en un jardin secret, soubz belle feuillade, autour d’un rempart de flaccons, jambons, pastez et diverses cailles coyphées... »
Aujourd’hui, réveillant au concert les mêmes agapes, ils s’y montrent une fois encore incontournables, toujours à l’affût du mot frivole ou leste (pour ne pas dire plus !) qui fait image. Peut-être, à y regarder de très près, avancent-ils à présent plus ou moins masqués, gagnant à cette relative distanciation une légitimité qui n’en rend que plus émouvante l’exception de la Déploration sur la mort de Jehan Ockeghem qu’a signée le prince des musiciens Josquin, salué comme tel par la Renaissance unanime. Mais la touche truculente affleure plus que jamais dans les Chasses au Lièvre et au Cerf, respectivement laissées par Nicolas Gombert (le maître du « chœur des enfants » à la Chapelle de Charles-Quint) et l’universel Janequin : deux tableaux « véristes » où le trait quasi visuel ne cesse d’être sollicité. Cependant que la fusion du style parisien et d’un son « flamand » est à proposer en modèle dans le stimulant N’as-tu poinct mis ton haut bonnet du Picard Ninot Le Petit qui séjourna sans doute à Florence, chez les Médicis, à l’extrême-fin du XVème siècle. Ne s’agissant plus, à ce degré d’appropriation, d’interprétation, mais tout simplement d’incarnation, ultime preuve, chez nos compatriotes, d’un art totalement maîtrisé qui joint à la qualité du geste technique la juste manière polyphonique et rhétorique. On regrette seulement qu’il ne se soit point trouvé d’endroit disponible pour que Paris accueille à son tour un festin acoustique aussi délectable.
Roger Tellart
Festival « Eclats de Voix », Auch, 15 juin 2008.
Photo : DR
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