Journal

Paris - Compte-rendu : Alexandre Paley - Un défi pour un sacre


Pro-di-gieux ! Mais il en aura fallu du temps… Alexandre Paley a certes déjà fait des apparitions furtives dans la capitale(1) mais jamais encore une grande salle parisienne n’avait déroulé le tapis rouge pour l’une des plus singulières figures pianistiques de notre époque. Mais, me direz-vous avec raison, ce n’est pas la première fois que Paris est en retard d’un ou deux coches en la matière… Rendons hommage à Georges Schneider, qui vient de quitter la direction de l’Ensemble Orchestral de Paris, pour avoir programmé Alexandre Paley au Théâtre des Champs-Elysées dans un concert aux allures de défi tels que le virtuose en raffole : soliste et chef des Concertos BWV 1052 et 1054 de Bach et des deux concertos pour piano de Mendelssohn dans la même soirée, voilà qui n’est pas offert au premier venu !

Mais nous n’avons pas affaire ici au premier venu… Formé à la grande école du piano russe dans la classe de Bela Davidovitch au Conservatoire de Moscou, Alexandre Paley est un interprète aux moyens techniques phénoménaux doublé d’une personnalité ignorante des mots tiédeur et compromis. Rompant avec le « steinmahaziolisme » ambiant, le pianiste a choisi un grand queue Blüthner rond et mat avec des basses profondes pour une soirée qui démarre par le célèbre Concerto en ré mineur de Bach. Pas de doute, ce jeu dru, jubilatoire a de quoi surprendre et déranger ceux qui ne jureraient que par la version de Gould ou celle, récente, d’une pianiste très médiatisée – on les plaint bien sincèrement dans ce dernier cas.

Comme toujours lorsqu’il se met au clavier, Paley invite à quitter les habitudes d’écoute, le confort des « références » et un certain « bon goût », qui n’est en général qu’ennui et absence d’imagination servis à la louche, pour partir à l’aventure. Avec quel bonheur le suit-on dans celle à laquelle il nous entraîne avec le concours d’un EOP littéralement magnétisé par son pianiste-chef. Comme le BWV 1052, le Concerto en ré majeur BWV 1054 donné en début de seconde partie fait entendre une musique conjuguée à la première personne du singulier. Mais le virtuose se double d’un merveilleux poète qui envoûte littéralement dans des mouvements lents où le lyrisme va de pair avec une parfaite conduite de la phrase.

Les concertos de Mendelssohn demeurent des opus mal aimés de la littérature concertante romantique. Il en irait autrement s’ils étaient plus souvent défendus par des interprètes de la trempe d’Alexandre Paley. Sous ses doigts, le style brillant prend une dimension insoupçonnée, proprement vertigineuse, en particulier dans des finales que l’artiste enlève avec des moyens propres à faire blêmir d’envie certains confrères. Chapeau à l’EOP pour avoir su à ce point faire corps avec cette ivresse virtuose ! Mais par-delà cet aspect, c’est d’abord à un musicien d’exception que les applaudissements du TCE ont offert son sacre parisien.

Avec les anniversaires Mendelssohn, Chopin, Liszt, Schumann qui se profilent, gageons que l’on aura souvent l’occasion de retrouver un pianiste hors normes dans les années qui viennent.

Alain Cochard

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 16 décembre 2008

(1)Philippe Maillard l’avait ainsi invité en 2003 au Théâtre du Renard pour un programme Enesco aussi magnifique que confidentiel.

> Les prochains concerts au Théâtre des Champs-Elysées

> Voir une vidéo d’Alexandre Paley

Photo : DR

Partager par emailImprimer

Derniers articles