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Nina double
Furent elles nombreuses les Isolde qui commencèrent Cherubino ? Il n’y en eu qu’une. Nina Stemme est tout sauf un phénomène. Artiste discrète, actrice sobre, sa voix même est empreinte d’une noblesse un rien distante.
Paradoxe pour un grand soprano wagnérien qui la place en marge de ses célèbres consœurs nordiques, les Flagstad, Bjoner et autre Nilsson. Celle qui est devenue l’Isolde majeure de sa génération - révélée par Nicholas Snowman au public de Glyndebourne il n’y a pas si longtemps que cela (2003) -, a conquis sa renommée comme sa voix avec patience et ténacité.
En Mozart - elle chante toujours sa Comtesse sidérante de sérénité - Nina Stemme s’est forgée un vrai legato, rare chez les grands sopranos dramatiques, qu’un vibrato très mesuré n’a jamais mis en péril. C’est certainement cette tenue qui rend ses héroïnes wagnériennes si prégnantes. Aucune ne lui résiste : aux blondes Elsa, Eva et Elisabeth elle offre l’allégement d’un timbre ductile, et des aigus pianissimos quasi belcantistes ; aux grands formats de Senta, de Brünnhilde une voix égale en tous les registres, centrée sur un médium d’une profusion harmonique rare qui lui permet de réussir avec une constante concentration, de timbre comme de musicalité, l’Isolde sorcière mais aussi l’Isolde amoureuse, survolant d’un seul geste la tessiture meurtrière du Mild un Leise final. Ici seule Kirsten Flagstad peut lui être comparée. Depuis les incarnations flamboyantes, presque acharnées, de Waltraud Meier, on espérait enfin la venue d’une grande Isolde classique. On la tient avec Nina Stemme.
Cette voix possède d’étonnante réserve de souplesse en même temps que d’aigu, et si le chant orné lui est étranger, elle a fait sienne les héroïnes straussiennes : une Maréchale subtilement détaillée, une Comtesse de Capriccio pénétrant toutes les subtilités du texte de Clemens Krauss, toutes les ambiguïtés de Madeleine surprennent peut-être plus encore qu’une Salomé attendue au delà de toute espérance mais en quelque sorte plus naturellement évidente.
Rêve-t-on déjà d’une Elektra acharnée dans sa vengeance mais sans cri, toute incarnée en musique que Nina Stemme nous entraîne dans les grands spinto verdiens, l’autre versant d’un art qui décidément fait penser à celui des sopranos allemandes du Verdi revival de l’entre-deux-guerres. Son Aida, sa Leonore du Trouvère, son Amelia conjuguent la plénitude de la ligne et la rigueur d’un chant surveillé comme le répertoire italien n’en avait plus connu depuis quelques lustres. Elle pousse cette manière jusque chez Puccini : sa Manon Lescaut, sa Butterfly échappent à toute une tradition de minauderie : elle donne à entendre leurs destinés avec une nudité sidérante, une absence totale d’affectation, de sentimentalité.
Les destins corsés la fascinent et, incarnés par elle, nous transportent : sa Jenufa, sa Tatiana ne sont jamais totalement brisées ; leçon d’espoir remarquable qui laisse augurer de sa nouvelle lady Macbeth de Mzensk pour le Metropolitan.
Mais malgré cette intense carrière de théâtre Nina Stemme n’abandonna jamais le récital, et la France l’accueille pour deux soirées où elle alternera des mélodies de Grieg et de Sibelius avec les Wesendonck-Lieder et un bouquet de Rachmaninov splendides. La souplesse de son instrument, son goût de la narration, son attention aux mots la désignent naturellement pour cet exercice délicat dans lequel tant de chanteuses lyriques ont péri. Entendre Nina Stemme sans orchestre, c’est surprendre l’artiste dans son intimité créatrice, c’est aussi réaliser à quel point cette voix est portée par des harmoniques d’une richesse inépuisable, inspirant au piano lui même des couleurs inédites. Nicholas Snowman l’accueillera dans son fief strasbourgeois le samedi 14 février, et les Parisiens pourront l’entendre enfin Salle Pleyel le 17, accompagnée par la fidèle Bénédicte Haid.
Jean-Charles Hoffelé
Récital de Nina Stemme et de Bénédicte Haid, Opéra de Strasbourg, le 14 février, Salle Pleyel, Paris, le 17 février 2009
> Programme détaillé de l’Opéra National du Rhin
> Programme détaillé de la Salle Pleyel
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Photo : DR
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