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La Chronique de Jacques Doucelin - La garde montante des chefs d'orchestre
Il y a vraiment de quoi être inquiet si l'on accorde foi aux dires des joyeux économistes qui prétendent que la situation de l'économie mondiale et mondialisée serait revenue à son étiage de la grande crise de 1929 qui enfanta tant de malheurs, et pas seulement en Europe. Quel rapport entre la crise de l'économie et la musique, me direz-vous ? Hélas, une simple constatation, à savoir que les arts ne se sont jamais aussi bien portés à travers l'histoire qu'à la veille de ses plus funestes soubresauts. Ce sont les civilisations en péril qui produisent les plus hauts chefs-d'oeuvre. La Renaissance en Italie, et singulièrement à Florence, s'est faite parallèlement à la guerre civile...
Or, pour ce qui concerne l'Hexagone et la musique, nous assistons aujourd'hui avec admiration à une véritable explosion de vitalité qui réjouirait celui qui a permis cette merveilleuse floraison d'artistes et d'orchestres, Marcel Landowski. Qu'est-ce que cela peut bien annoncer de fâcheux diront les Cassandre ? Et bien, nous ne les suivrons pas et allons nous contenter de savourer notre plaisir en évoquant la fabuleuse génération montante de jeunes chefs d'orchestre qui viennent de s'affirmer un peu partout tout au long de cette saison. Oui, les papys de la baguette n'ont qu'à bien se tenir, car leurs cadets sont en train de leur tailler des croupières et de donner raison à Charles de Gaulle lorsqu'il ironisait ainsi sur sa propre succession : « ça n'est pas le vide qu'il faut redouter, mais le trop-plein ! »
La poignée de grands anciens qui font rêver le public peuvent lui voler la formule. Les Claudio Abbado, Pierre Boulez, Christoph von Dohnanyi, Bernard Haitink, Neeme Järvi, Seiji Ozawa, Colin Davis, Lorin Maazel, Georges Prêtre et autre Yuri Temirkanov n'ont surtout pas à craindre de laisser les grandes phalanges orphelines ! Et je ne pense pas ici à leurs benjamins immédiats comme Mariss Jansons, Riccardo Muti, Valéry Gergiev, Jiri Belohlavek, Daniel Barenboïm, Riccardo Chailly, Marek Janowski, Simon Rattle ou John Eliot Gardiner... Et pas davantage aux cadets comme Esa Pekka Salonen, Christian Thielemann, Kent Nagano ou Louis Langrée auxquels vous pensez tout naturellement et à juste titre. Mais je songe davantage à cette nouvelle pléiade de jeunes chefs à peine trentenaires que les récentes saisons nous ont révélés à foison.
Je ne parle pas des curiosités, des espoirs, mais bien de gens dont le talent nous a sauté au visage avec l'insolence et la force de persuasion de la jeunesse. Ceux dont je veux vous entretenir se sont véritablement imposés et à la tête des meilleurs orchestres. Le premier à s'être fait remarquer chez nous grâce à l'invitation de Hugues Gall à l'Opéra, c'est le Russe Vladimir Jurowski que Gerard Mortier a eu la sagesse de réinviter. Mais nous l'avons laissé filer de l'autre côté du Channel... comme d'habitude ! Un de ses compatriotes que nous n'avons heureusement pas laissé partir, c'est Tugan Sokhiev qui a brillamment succédé à Michel Plasson à la tête d'un Orchestre du Capitole de niveau international. De même, Nicolas Joël a su s'adjoindre comme directeur musical de l'Opéra de Paris qu'il doit prendre en main en juillet prochain, le jeune Philippe Jordan, digne fils du grand Armin Jordan.
Le Grand Théâtre de Bordeaux l'avait devancé de justesse en engageant comme directeur musical le Canadien Kwamé Ryan, merveilleux chef lyrique. Enfin, l'Opéra de Lyon a fait le bon choix avec le Japonais Kazushi Ono, né, il est vrai, en 1960 et venu du Théâtre de La Monnaie de Bruxelles où avait su l'attirer Bernard Foccroulle avant de prendre les rênes du Festival d'Aix en Provence. Ono dirige actuellement à l'Opéra de Lyon une Lulu de Berg exemplaire, digne des plus grands. Autre choc récent à l'Opéra Bastille où Macbeth de Verdi est dirigé par le magnifique Teodor Currentzis, un Grec qui fera une carrière à la Dimitri Mitropoulos: ne manquez surtout pas la retransmission sur France Musique de ce Macbeth tant il mène l'orchestre maison sur les sommets (samedi 2 mai, à 19h05). Un colosse letton de 30 ans, Andris Nelson, nous y a également conduits pour ses débuts parisiens à la tête de l'Orchestre National de France dans une Passacaille de Webern et Une Vie de héros de Richard Strauss qu'on n'est pas près d'oublier, au Châtelet le 12 février dernier.
La France n'est pas en reste grâce au trentenaire Jérémie Rhorer venu de l'univers baroque à la tête du Cercle de l'harmonie. Mais son approche est très libre et pas confite pour deux sous en dévotion à la sacro-sainte authenticité : on suivra, cet été son nouveau Mozart, Cosi fan tutte au Festival de Beaune qui le révéla. N'oublions pas le benjamin, 23 ans, Lionel Bringuier, chef associé de l'Orchestre de Bretagne et assistant de Salonen à Los Angeles. Alors, qu'est-ce que je vous disais !
Jacques Doucelin
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Photo : DR
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