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Compte-rendu - Cavalleria rusticana / Pagliacci - Double pari tenu
Souvent représentés au cours du XXe siècle, les opéras jumeaux Cavalleria rusticana (1890) de Pietro Mascagni et I Pagliacci (1892) de Ruggero Leoncavallo, ouvrages fondateurs du courant vériste, se sont faits plus rares à la scène sans doute à la suite de la disparition de montres sacrés capables de transcender le réalisme de cette musique. Pour leur première programmation aux Chorégies d’Orange, ces deux partitions auront bénéficié d’une interprétation digne de tous les éloges, évitant même le piège de la sensiblerie et du pathos qui leur sont parfois attachés. L’imagination et la cohérence de la mise en scène contrastée de Jean-Claude Auvray opposent de manière dichotomique la noirceur et l’austérité sicilienne de Cavalleria rusticana aux couleurs bigarrées du cirque où évoluent les protagonistes de Paillasse.
La direction de Georges Prêtre, élégante, tendue par le sentiment de l’urgence et du drame, témoigne d’une jeunesse tout à fait stupéfiante à l’approche des 85 ans du maestro. On était impatient d’entendre Roberto Alagna dans les deux rôles écrasants de Turiddu et surtout de Canio - que Pavarotti n’avait jamais osé affronter en une seule soirée. Voix souple et ductile, présence scénique impressionnante, Alagna convainc certes plus par la clarté de sa diction, le lyrisme de son chant, que par sa puissance d’intonation (le toast de Turiddu et le célèbre « Ridi, Pagliaccio ») ; mais son engagement athlétique, son identification aux deux héros lui permettent de camper successivement deux personnages saisissants de force dramatique.
A ses côtés, dans Cavalleria rusticana, la Santuzza de Béatrice Uria Monzon animée d’un feu intérieur, d’une beauté à couper le souffle, franchit le mur d’Orange avec autorité et assurance tandis que sa rivale, la pétillante mezzo-soprano Anne-Catherine Gillet, sait se faire affriolante à souhait. Le baryton coréen Seng-Hyoun Ko, solide Alfio, confirme également dès le prologue de Pagliacci une présence théâtrale dans le rôle du bossu Tonio, véritable Quasimodo aux allures démoniaques. Héroïne malheureuse, la fière Nedda de Inva Mula évite de surcharger son personnage grâce à une finesse d’approche et une qualité de nuances hors pair face au Silvio de Stéphane Degout, amant à la voix chaleureuse et colorée.
Les musiciens de l’Orchestre National de France rivalisent de subtilité attentive, malgré quelques décalages sans gravité avec les chœurs qui tiennent aux dimensions de la scène du théâtre antique. Les interludes orchestraux, en particulier l’Intermezzo de Cavalleria rusticana, constituent un moment d’anthologie sous la baguette expérimentée et en lévitation de Georges Prêtre, qui fait d’autant plus regretter son absence de nos scènes lyriques.
Michel Le Naour
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Photo : DR
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