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Interview : Philippe Jordan lance le Ring du bicentenaire Wagner
Tout nouveau directeur musical de l’Opéra de Paris, Philippe Jordan encore auréolé d’un coup d’essai transformé en coup de maître discographique avec la Symphonie alpestre de Richard Strauss qui paraît bientôt chez Naïve, s’attaque à l’Everest lyrique que représente La Tétralogie de Wagner dont il dirige L’Or du Rhin à partir du 4 mars, en attendant La Walkyrie le 31 mai. Il ne s’agit pas seulement d’imprimer sa marque sur un orchestre qui n’a plus joué cette somme depuis plus d’un demi-siècle, mais surtout de préparer la célébration du bicentenaire de la naissance de Richard Wagner en 2013. Le fils d’Armin Jordan a accepté de répondre sur la façon dont il entend relever le défi.
Votre père vous a-t-il influencé ?
Philippe Jordan : Oui, et malgré ses absences prolongées, car il était toujours en voyage au gré de ses engagements. Ma mère et moi nous sommes souvent retrouvés seuls à la maison. Si j’ai choisi le même métier que mon père, ça n’est pas un hasard, mais pour me rapprocher de quelqu’un que j’admirais. Je dois avouer qu’il est encore plus présent dans ma vie depuis sa mort : je me surprends parfois à m’interroger sur ce que je fais en pensant à lui. Nos personnalités étaient certes très différentes : il était d’un naturel méditerranéen très ouvert, comme ma mère, je suis plutôt réservé. J’ai voulu chercher mon propre chemin tout seul et le paradoxe c’est que je suis fier aujourd’hui de retrouver les qualités d’un père doué d’une double culture, allemande et française.
C’est à ce titre que vous vous apprêtez à diriger Wagner à la tête d’un orchestre français ?
P. J. : Cela me plaît énormément, car j’aime la clarté de son française qui ne nuit nullement à la musique de Wagner qui est nourrie de la musique de toute l’Europe.
Ça n’est pas une première pour vous qui avez été l’assistant de Jeffrey Tate pour le Ring du Châtelet avec l’Orchestre National de France…
P. J. : Non, mais depuis j’ai expérimenté la tradition germanique en 1998 à Berlin avec Daniel Barenboïm qui m’a fait profiter de son expérience à Bayreuth comme de la tradition séculaire de la Staatskapelle berlinoise. Tradition qui ne m’a d’ailleurs pas paru dépourvue d’une certaine épaisseur de trait… Il y a deux ans, j’ai pu enfin voler de mes propres ailes en dirigeant ma première Tétralogie à Zurich.
Une toute autre expérience…
P. J. : Oui, dans la mesure où j’ai du accepter de réduire le nombre de musiciens qui ne logeaient pas dans la fosse.
Du moins, n’est-ce pas le cas à la Bastille !
P. J. : Certes non, mais la leçon c’est que quel que soit l’endroit où l’on dirige l’œuvre, il y a toujours des problèmes d’ajustement, d’accommodement acoustique inattendu. C’est là où la multiplication des expériences est utile pour ne pas se laisser surprendre.
Quand avez-vous commencé les répétitions ici ?
P. J. : Dès janvier, on a eu les répétitions scéniques et le 8 février avec l’orchestre. Mais en réalité, le travail d’orchestre a débuté avec notre premier concert consacré notamment à la Symphonie alpestre de Richard Strauss dont l’effectif orchestral est exactement le même que celui de L’Or du Rhin. Le CD qu’en a réalisé Naïve sortira d’ailleurs pour la première de L’Or du Rhin le 4 mars à Bastille.
C’est un vrai baptême pour un orchestre qui n’a jamais eu l’occasion de s’attaquer à la partition, le dernier essai remontant à trente cinq ans sous l’ère Liebermann qui s’arrêta du reste à La Walkyrie…
P. J. : Heureusement qu’entre temps, ils ont joué d’autres opéras de Wagner, à commencer par Tristan et Isolde qui constitue une bonne introduction au Ring.
Pourquoi avez-vous décidé de vous lancer à l’assaut de cet Himalaya dès votre première saison à l’Opéra de Paris ?
P. J. : Comme je n’étais pas libre au début de la saison, il fallait bien frapper un grand coup pour imposer ma marque sur la maison. Le calendrier a fait le reste avec l’année Wagner en 2013 : impossible d’ignorer plus longtemps un Ring absent de l’affiche de l’Opéra depuis plus d’un demi-siècle. Et, quelle meilleure façon de renforcer la cohésion des musiciens et la prise de conscience de leur spécificité. Chacun sait qu’ils ont acquis une remarquable flexibilité. Je veux maintenant qu’ils affirment leur personnalité.
A l’inverse des festivals d’Aix et de Salzbourg, allez-vous renoncer à donner les quatre ouvrages en cycles complets ?
P. J.: Ça n’aurait pas de sens et Nicolas Joel se bat avec les plannings pour en caser plusieurs.
C’est une vraie gageure, car vous n’êtes pas seul sur le créneau Wagner en 2013…
P. J. : C’est affreux : rien qu’en Europe, il y a au moins quinze théâtres lyriques qui affichent le Ring pour 2013.
La distribution a dû être un sacré casse-tête ?
P. J. : Aussi surprenant que cela puisse paraître, au jour d’aujourd’hui, on manque plus de voix verdiennes que de voix wagnériennes. N’empêche que les Brunhilde, les Wotan et les Siegfried ne courent pas les rues ! Il faut surtout les auditionner dans les théâtres où ils vont se produire. Par exemple, nous avions trouvé un superbe Siegmund : hélas, sa voix de ténor était trop petite pour la Bastille.
L’équilibre entre la scène et la fosse y est aussi des plus délicats : comment travaillez-vous avec l’orchestre ?
P. J. : Nous partons de la Nouvelle Edition Wagner qui apporte beaucoup de choses nouvelles, notamment dans l’articulation. Elle renonce au staccato plus léger pour privilégier les accents qui relancent plus vigoureusement le discours musical. J’ai noté les coups d’archets à l’Opéra de Berlin, mais il faudra, en fait, que je m’adapte à l’orchestre et à l’acoustique du lieu. Il est stupéfiant de constater à quel moment Wagner commence à composer en fonction de l’architecture qu’il prévoyait à Bayreuth : c’est à partir du deuxième acte de La Walkyrie. Avec L’Or du Rhin, il n’y a encore aucun problème, on reste dans le traditionnel. C’est après qu’il faut sérieusement penser aux chanteurs.
Propos recueillis par Jacques Doucelin, le 27 janvier 2010
R. Wagner : L’Or du Rhin – Opéra Bastille, les 4, 10, 13, 16, 19, 22, 25, 28(mat.) mars
La Walkyrie – le 31 mai et les 5, 9, 13, 16, 20, 23, 26 et 29 juin 2010
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Photo : Opéra national de Paris/ Johannes Ifkovits
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