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Compte-rendu : Le feu d’artifice - Les Saisons Russes du XXIe Siècle au TCE

Il était une fois … Il était une fois de belles princesses, de vaillants chevaliers, de méchants enchanteurs, des animaux fantastiques, de la magie, bref tout ce qu’il faut pour ranimer une âme d’enfant. Le spectacle que présente le Ballet du Kremlin, où brillent des étoiles du Bolchoï notamment, sous la pulsion d’un danseur fameux, Andris Liepa, rassasie en couleurs et en féeriques décors, conçus pour ranimer une flamme dont le monde de la danse n’a jamais cessé de cultiver les leçons. Du répertoire des Ballets Russes de Diaghilev, peu nous est resté, à l’exception du Faune de Nijinski, que Lifar, intégré à la fin de l’aventure, recueillit en le dansant lui-même, tandis que le Sacre du printemps n’a connu qu’une résurrection récente, extrêmement sujette à caution d’ailleurs, et due au travail de bénédictins de deux Anglais : Kenneth Archer et Millicent Hodson.

En Russie, la rigueur académique du ballet soviétique occulta ce nouveau visage de la danse, tandis que les Ballets de Diaghilev s’éloignaient de leur base et se faisaient réactifs aux grands courants européens de l’après 14. Et sur le seul souvenir des témoins d’époque, et des danseurs qui transmettaient les chorégraphies, tant bien que mal, on a continué à rêver de ces multiples splendeurs orientales amenées en bourrasque. Ou de ces contes russes dont la richesse colorée, la naïveté flamboyante éblouissaient le public européen, au goût affadi par un art du ballet devenu trop conventionnel à la fin du XIX siècle. Liepa, qui continue la prestigieuse lignée illustrée par son père, le grand Maris Liepa, s’est depuis vingt ans jeté corps et âme dans la survie et la diffusion de ce que l’on pouvait sauver. Sans craindre de combler les creux de l’histoire.

Tel est le cas du Pavillon d’Armide, dont il ne reste à peu près rien, sinon les maquettes de Benois et la - gentillette- musique de Tcherepnine. Un temps pourtant unique de l’irruption des Russes à Paris en 1909, puisque ce fut le premier ballet qu’ils présentèrent au Châtelet , ouvrant une boîte magique dont s’échappaient pour la première fois les Karsavina, Pavlova et Nijinski, qui allaient rendre le public fou. A chaque chorégraphe sa démarche : si John Neumeier, à Hambourg, en a génialement tiré une évocation sur la douloureuse histoire de Nijinski revivant ce poétique Pavillon, Liepa, lui fait plus sagement appel à un chorégraphe estimable, le lituanien Jurius Smoriginas, lequel a tenté de s’approcher de ce que devait être le ballet authentique. On sait bien ce que l’aventure a d’hasardeux, mais on goûte encore la poésie de cette féerie, qui replonge dans le pavillon de l’enchanteresse Armide, une vieille connaissance depuis l’époque baroque, et garde un goût d’inachevé qui sied bien à son sujet. Même s’il faut bien avouer que les pas proposés et les enchaînements semblent plus proches de Petipa que de ce que l’on sait de Fokine, chorégraphe des premiers Ballets Russes.

Tout aussi emblématique, L’Oiseau de Feu, qui bénéficie, lui, de la somptueuse musique de Stravinski, et dont la chorégraphie a survécu dans une foule de reconstitutions. Cette version, retravaillée par Liepa, à laquelle il ne manque aucun galon doré, aucun diamant sur la tiare des princesses, aucune plume écarlate sur la tête de l’Oiseau, aucune griffe et corne aux méchants diables, garde un charme indéniable, et les interprètes, notamment le couple de rêve formé par Artyom Iatchmennikov et Natalia Balakhnitcheva, semblent sortis tout droit d’un livre de contes russes. Reste l’Après-midi d’un Faune, que l’on connaît plus rigoureux et moderne dans la version de l’Opéra de Paris. On y aime moins le côté avantageux et trop académique de Nicolas Tsiskaridze, danseur adulé au demeurant, lequel reste au bord du mythe et d’une chorégraphie révolutionnaire, même si elle repose sur le retour à un antique illusoire. Le public est sorti enthousiaste de cette rutilante galerie de souvenirs, avivés par le punch des danseurs russes.

Jacqueline Thuilleux

Les Saisons Russes du XXIe Siècle – Paris, TCE, le 6 mars 2010.

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Photo : DR
 

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