Au fil des années, le pianiste Bertrand Chamayou affirme un talent où le virtuose sait toujours s’effacer derrière un musicien poète qui donne à ses interprétations une densité que beaucoup pourraient lui envier. Son récital au Châtelet en apporte la preuve éclatante. A ses qualités d’architecte dans le triptyque Prélude, choral et fugue de César Franck(1), Chamayou sait associer subtilité de touche, sens des nuances et digitalité éloquente. Du romantisme des quatre extraits de la première des Années de Pèlerinage, il réussit à doser tout ce qui pourrait relever des effets de manche pour privilégier clarté du texte et fluidité du jeu. Au bord d’une source annonce déjà les jaillissements ravéliens par l’attention portée au timbre impalpable et immatériel. Orage rejette les formules de vélocité pure pour pénétrer l’intériorité de la narration, tandis que la Vallée d’Obermann perd en exaltation ce qu’elle gagne en délicatesse. Les Cloches de Genève possèdent la puissance maîtrisée d’une vision pénétrante.

Au terme de ce concert remarquable, Venezia e Napoli (supplément à la 2ème Année) allie au sens du chant une technique éprouvée qui laisse admiratif par l’aisance du geste. Au moment des bis, une mélodie de Chopin extraite des Chants polonais et un lied de Schumann, tous deux transcrits par Liszt, apportent une touche finale en demi-teinte après le débordement de vélocité. De la belle ouvrage en vérité !

Michel Le Naour

(1) Un ouvrage que B. Chamayou vient d’enregistrer au sein d’un programme Franck comprenant aussi le Prélude, aria et final, le Prélude, fugue et variation (version piano/harmonium avec Olivier Latry) et, avec le Royal Scottish National Orchestra et Stéphane Denève, Les Djinns et les Variations symphoniques (1 CD Naïve)

Paris, Théâtre du Châtelet, le 7 mars 2010

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Photo : DR