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Compte-rendu : Reine d’un jour au fond d’un aquarium - Platée à Strasbourg
Et bien ça y est : les femmes sont en train de tailler des croupières aux hommes sur les plateaux lyriques ! Si ces dames ont du mal à manier la baguette à l’égal des mâles, il n’en va heureusement pas de même pour la mise en scène. Cantonnées jusqu’à présent dans la taille des costumes et la restitution des entrechats d’Ancien Régime, les voici reines incontestées des scènes d’opéra. Et c’est un bien. Souvent, au nom de ce qu’ils croient être une idée géniale, les hommes imposent une grille de lecture aussi lourde que réductrice à des ouvrages qu’ils rapetissent. Ce que d’aucuns baptisent la « sensibilité féminine » leur évite ce genre de travers grâce à un subtil mélange de respect de l’œuvre et de fantaisie dans leur approche.
Témoin ce Platée, unique ouvrage comique du si sérieux Jean-Philippe Rameau, qui constitue la troisième mise en scène de Mariame Clément à l’Opéra du Rhin. Au milieu du XVIIIe siècle, en 1745 exactement, tout le monde savait, à la cour comme à la ville, quel royal laideron se cachait derrière le personnage disgracié de la nymphe Platée… Cette actualité est hélas aujourd’hui lettre morte comme l’était la mythologie antique où se nichait à la création de l’ouvrage l’action d’Atys de Lully ressuscité par les soins de Christie et de Villégier au prix d’une transposition à la cour même du Roi-Soleil !
Pour la reine des grenouilles, le choc historique est encore plus violent puisque la metteuse en scène a décidé de l’inscrire dans la France des années 50, celle du Plan Marshall et de l’arrivée dans nos cuisines des robots domestiques et du formica. Elle a sans doute songé à la chanson de Boris Vian et sa grand-mère a dû lui révéler les mystères d’une émission de radio de Jean Nohain Reine d’un jour qui faisait pleurer Margot, car une mère de famille toute émue était couverte de cadeaux promotionnels, du grille-pain au réfrigérateur. Durant le Prologue, on redoute un peu l’effet facile et gratuit : c’est compter sans la détermination et la finesse d’approche de Mariame Clément.
En effet, les trois actes de ce Ballet bouffon sont emportés dans un feu d’artifice de trouvailles aussi drôles que pertinentes. Le fond de scène signé Julia Hansen et constitué de divers carrés d’un Paul Klee qui aurait perdu le sens des belles couleurs, va peu à peu s’animer à mesure que s’ouvrent ses compartiments laissant apparaître les produits du progrès technique, du bar escamotable au frigo encastré. Ce dernier libère même l’Amour en sosie de Martine Carol. Pièce centrale du drame, repère indispensable à la survie de Platée, un énorme aquarium électrique avance sur le plateau tandis que sur le côté Jupiter et son complice se penchent sur un mini aquarium. Soudain, la cravate rouge du dieu pend dans l’aquarium… des cintres descend alors dans le grand bain un cravate géante dans laquelle Platée s’enveloppe pour mieux se laisser enlever.
Les clins d’oeil de ce genre n’arrêtent pas durant tout le spectacle : Jupiter vient à son rendez-vous galant dans une belle américaine rouge toute en phares et en pare-chocs, la nymphe ridicule se met sur son 31 en se transformant en une idole de la chanson française de l’époque… Mais tout cela n’est pas gratuit : il s’agit de ne pas perdre le fil de l’histoire, de montrer que cela n’est pas sérieux et qu’en dépit des apparences que se donne parfois la musique, la parodie du grand opéra est la règle. C’est là où la mise en scène s’unit d’une façon aussi génialement intime que dans celle d’Atys à la chorégraphie de l’Américain Joshua Monten : sa veine parodique est tout bonnement prodigieuse tout comme les danseurs de l’Opéra du Rhin.
Le maître ès musique, c’est Christophe Rousset à la tête de ses Talens Lyriques qu’il manie lui aussi avec verve et humour, n’hésitant pas à grossir le trait quand il le faut. C’est sans nul doute à lui qu’on doit l’impeccable articulation des solistes comme des chœurs maison. La distribution est particulièrement homogène, sans mouton à cinq pattes, tous jouant avec autant de bonheur qu’ils chantent. Le Jupiter de François Lis et la Junon de Judith Van Wanroij dominent l’ensemble entourés de la Folie au jeu retenu de Salomé Haller, la Platée d’Emiliano Gonzalez Toro, le Thepsis de Cyril Auvity, le Momus et le Cithéron d’Evgeniy Alexeiev.
Jacques Doucelin
Rameau : Platée - Strasbourg, Opéra National du Rhin, le 16 mars, puis les 18, 20 et 22 mars. A Mulhouse les 28 et 30 mars 2010
> Programme détaillé de l’Opéra National du Rhin
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Photo : Alain Kaiser
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