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Compte-rendu : Un deux trois quatre - Guennadi Rozhdestvensky dirige l’Orchestre de Paris
Qu’arrive-t-il à Guennadi Rozhdestvensky ? Depuis la reprise de La Dame de Pique, voici deux saisons à Bastille, qu’il avait plombée d’une baguette implacablement indifférente à tout théâtre, on s’inquiétait. Le concert d’hier soir a confirmé nos pires craintes. Comment le bouillonnant chef anti-académique qui avait offert au disque des visions si percutantes des Symphonies de Sibelius, de Prokofiev, de Chostakovitch, d’Honegger, s’est-il transmué en ce métronome ? Mystère.
En tout cas La Grande Pâque russe, dirigée sans relance et dans un tempo à endormir tous les clochers, n’en finissait pas, accusant les flonflons d’une écriture qui, lorsqu’elle est prise au tempo giusto, scintille, fascine et emporte immanquablement. Si l’on ajoute un Roland Daugareil qui n’avait pas chauffé son violon, l’œuvre sombrait corps et âme dans l’exercice d’écriture. Seuls s’en échappaient quelques rares parenthèses impressionnistes subtilement dosées, où les vents solistes de L’Orchestre de Paris faisaient merveille, comme à leur habitude (1).
Un regain d’énergie et d’à-propos saisissaient le chef pour accompagner son épouse dans le Concerto op 30 de Rimski-Korsakov. Mais si l’on y regardait de plus près, c’était elle qui donnait ses tempos. Semant des perles et des diamants sous ses doigts, se riant des octaves et des déplacements, timbrant chaque note, remplissant chaque accord, mettant autant de poésie que de fantaisie dans cette œuvre qui joue avec les formules et bouscule les structures classiques, faisant sienne avec une désinvolture souveraine cette écriture toujours malaisée qui avoue que le père de Schéhérazade fut très peu pianiste (les accompagnateurs de ses mélodies le maudissent assez pour cela), Viktoria Postnikova nous rappelait qu’elle reste aujourd’hui l’une des dernières représentantes, avec Elisabeth Leonskaja et Elisso Virsaladze, de la grande école de piano russe.
Ces bras puissants, ce jeu du corps, cet art de faire sonner l’instrument en surprenant le clavier par d’étonnants coups de patte qui transforment les marteaux en cloches, subjuguent jusque dans les pianissimos les plus évocateurs délivrés en bis dans la merveilleuse Barcarolle des Saisons offerte en cadeau pour l’anniversaire de la naissance de Tchaïkovski, tout cela est simplement du très grand art. Pourquoi Paris n’accueille-t-il jamais Postnikova en récital (et pourquoi d’ailleurs en donne-t-elle si peu) ?… Autre mystère. Mais si la Salle Pleyel affichait complet, c’était d’abord pour entendre Ivan le Terrible, œuvre inclassable de Prokofiev qu’Abraham Stassevitch déduisit de la musique de film écrite par ce premier pour le film d’Eisenstein. Rozhdestvensky a probablement tort de réciter tous les monologues d’Ivan, allongeant l’œuvre autant que sa battue trop lâche. Ses interventions, si on les ajoute à celle du récitant, grevaient la partition, brisant trop souvent la tension, et rendaient la soirée assez interminable (on sortait de Pleyel à 22h50…).
La formidable mécanique mise en place par Prokofiev, sa science de l’orchestre simplement éblouissante, suffisent à faire marcher tous seuls la plupart des tableaux, mais si Rozhdestvensky y avait mis plus de fougue, on aurait vraiment été saisi. Et la fatigue finit par gagner tout le monde, le chœur surtout, par ailleurs admirablement préparé, au point que le serment des Opritchnik prenait des allures de première communion.
Mais au-delà de ce qui sonnait comme une simple lecture, aussi magnifique et opulente d’orchestre fût elle, le chef imposait un style indiscutable. Admirable chanson du Castor, avec ce qu’il faut d’amertume et de jeu de théâtre, fabuleusement dite et chantée à la fois par Larissa Diadkova, formidable Opritchnik du très noir baryton (et non basse comme indiqué par le programme) d’Alexei Tanovitski, déjà remarqué dans le récent concert monographique du National consacré à Rachmaninov, on sortait de Pleyel heureux tout de même d’avoir entendu Ivan le Terrible, mais en songeant que Vassili Petrenko, Kirill Karabits ou Tugan Sokhiev nous en diraient plus sur cette partition somme toute maudite.
Jean-Charles Hoffelé
1) comme le prouve une récente parution discographique consacrée à l’intégrale de la musique de chambre avec vents de Camille Saint-Saëns (2CD Indésens / INDE010)
Paris, Salle Pleyel, le 7 mai 2010
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Photo : DR
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