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L’Affaire Makropoulos de Janacek à Angers-Nantes Opéra - 3 Questions à Moshe Leiser, metteur en scène
Angers-Nantes Opéra, sous le regard de Patrice Caurier et Moshe Leiser, ouvre ses plateaux à Emilia Marty. Vous la connaissez ? Ou peut-être l’avez-vous rencontrée à Vienne, sous l’identité d’Ekaterina Mishkin. Un bon ami auquel j’ai montré sa photo m’a assuré que son grand père l’avait connue intimement à Edimbourg, elle se faisait alors passer pour une certaine Elaine McGregor. Mais elle est parvenue à la postérité sous un autre nom, Elina Makropoulos. C’est un compositeur morave, Leos Janacek, qui lui a assuré l’immortalité à laquelle elle avait pourtant renoncé. L’œuvre d’art est parfois l’allié implacable de l’ironie la plus cruelle.
On a posé trois questions à Moshe Leiser, qui lui aussi a rencontré cette héroïne de 327 ans
Qui est Elina Makropoulos ?
Moshe Leiser : Une femme qui a trop vécu, qui a une conscience douloureuse de la vanité de l’existence humaine, de la cruauté de ses semblables, une femme infiniment blessée, réfugiée dans une indifférence qui est sa seule défense, qui lui permet de survivre après plus de trois siècles d’existence, vous imaginez, vivre trois siècles dans notre monde, quelle plus belle métaphore de l’enfer peut-on trouver ? Pour essayer d’échapper à elle même, car à la fin c’est elle même qu’elle fuit, en quelque sorte elle s’autoterrorise, elle endosse sans cesse d’autres personnalités, elle revêt d’autres visages, elle se dissimule. Mais sa propre histoire la rattrape, et son propre désir de continuer à vivre devient son pire poison.
Tout une part de l’opéra fonctionne sur cette recherche de la formule magique notée par son père, l’apothicaire de l’empereur Rodolphe, celle d’un élixir de pseudo-éternité, mais il y a toujours une ambivalence : elle veut retrouver la formule mais en même temps elle ne le veut pas, comme le prouvent sa lassitude, son amertume. A la fin elle renoncera, elle abandonnera. Pour ma part je ne crois pas que son acceptation de sa mort soit une rédemption, elle cesse simplement de courir dans ce monde de fou, d’ailleurs elle constate elle même, sentant la mort venir, que cela lui semble assez doux. La raison de la terreur n’est pas où elle croyait qu’elle était : ce n’était pas la mort, c’était la vie.
Qu’est-ce qui vous fascine tant dans cette œuvre ?
M. L. : Sa radicalité. On n’insistera jamais assez sur la qualité du livret de Janacek, largement supérieur à la pièce de Karel Capek qui comporte tout un aspect théâtre à thèse que le musicien a évacué. Son sens de l’ellipse, son art du bref ont créé un opéra incroyable de modernité. Je dirais même plus : ce qui me frappe dans L’Affaire Makropoulos c’est son absolue brutalité, en fait tout le contraire quand on y pense de ce qu’est l’opéra. Et puis au milieu de cette violence il y a cette scène incroyable avec Hauk Sendorf, un vieux fou qui a connu Elina alors qu’elle jouait une gitane, et ce vieux fou est au fond la seule personne qu’elle ait vraiment aimée, d’ailleurs elle serait partie avec lui au troisième acte si Koletany et toute sa bande n’étaient revenu lui demander des comptes.
Vous montez l’œuvre à quelle époque ?
M. L. : Quelle question ?! C’est une œuvre intemporelle, elle nous parle toujours au présent mais son présent n’est pourtant pas le nôtre. D’ailleurs l’opéra par son héroïne même ne fait que brouiller les données temporelles. En fait nous avons voulu Patrice et moi même faire entrer le spectateur dans l’univers mental d’Elena Makropoulos, le dispositif scénique sera comme une plongée dans son esprit, une sorte de cabinet du Docteur Caligari tout en lignes de fuite. Si Janacek a su si bien entrer dans l’univers psychologique de son héroïne, on ne peut qu’essayer de l’y suivre au plus près.
Propos recueillis par Jean-Charles Hoffelé
Janacek : (mise en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser) - Angers Nantes Opéra, Nantes, Théâtre Graslin, les 27, 29 mai puis les 1er, 3 et 6 juin, Angers, Le Quai, les 13 et 15 juin 2010.
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Photo : DR
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