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Compte-rendu : Sonnets, luth et basses de violes - « TO.THE .ONLIE. BEGETTER » par la Compagnie Oghma

Shakespeare a toujours porté le plus vif intérêt à la musique et aux musiciens. Un intérêt que résume tout un lot de formules heureuses, de la mise en garde (« il faut se méfier de l’homme qui n’a pas l’amour de la musique en son coeur, car il est enclin à toutes les trahisons ») à l’approbation passionnée (« si la musique est la nourriture de l’amour, alors donnez-m’en à satiété » dit le tout-début de La Nuit des Rois).

A partir de ces affinités, la jeune Compagnie Oghma (du nom de l’équivalent d’Apollon dans la mythologie celtique) propose un délicat spectacle, intitulé TO.THE. ONLIE. BEGETTER, en marge de la tumultueuse histoire du théâtre shakespearien, sous les règnes de la Reine Vierge et de Jacques 1er, son successeur.

Pour autant, ce spectacle n’en est pas vraiment un, mais plutôt une confrontation entre la musique des mots, générée par les 154 sonnets amoureux du grand Will que l’éditeur Thomas Thorpe publia en 1609, avec un destinataire resté jusqu’à aujourd’hui mystérieusement anonyme, et, bien sûr, la musique des instruments que le concepteur-acteur du projet, Charles Di Meglio, est allé demander à quelques-uns des premiers compositeurs insulaires du temps. Ainsi Tobias Hume, virtuose de la viole de gambe qui servit longtemps comme soldat dans l’armée anglaise (et peut-être suédoise et russe) et mourut misérablement dans un hospice londonien, mais aussi Francis Cutting, Alfonso II Ferrabosco, autre violiste de renom au sein d’une famille de musiciens d’origine italienne et, last, but not least, l’ineffable John Dowland, prince du luth et du consort of viols ( les sept Pavanes Lachrimae) et dont la devise désenchantée – Semper Dowland, semper dolens- était en soi tout un programme !

Artiste polyvalent s’il en est – il est tout ensemble comédien, traducteur, metteur en scène, récitant et accessoirement chanteur et luthiste - Charles Di Meglio a travaillé avec Eugène Green, entre autres, avec le souci, dans cette exhumation des Sonnets, d’accorder autant d’importance au texte qu’à la musique. D’où une exigence complémentaire vis-à-vis des trois instrumentistes (2 basses de violes, un luth Renaissance) : celle d’être également acteurs au même titre que le récitant (lequel, par ailleurs, a mené à bien tout un travail prosodique sur les textes, de manière à restituer la saveur d’une prononciation élizabéthaine supposée d’époque).

Tel quel, le résultat poétique est le plus souvent très convaincant, les sons du consort instrumental se faisant le miroir sensible des émotions évoquées par les mots, avec une hiérarchie dans l’excellence, le luth délié de Simon Waddell poussant peut-être plus loin la peinture des affects que les basses de viole de Marie-Suzanne de Loye et Mélusine de Pas. Cependant qu’à célébrer dans les sonnets la force du verbe parlé, Charles Di Meglio en vient à s’interdire les ressources, tout autant rhétoriques, de la vocalité, nous privant, entre autres, de quelques précieux songs et ayres de Dowland. Mais c’est là lacune qui n’en est pas une, puisque la présence d’un seul chanteur peut y remédier aisément.

Roger Tellart

Paris, église réformée de Pentemont-Luxembourg, 22 mai 2010

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Photo : DR
 

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