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Compte-rendu : Danse / Tambours battants - Kaguyahime à l’Opéra Bastille
Esthétisant, froid et violent, tel est le style de Kaguyahime, du Tchèque Jiri Kykian, lequel reste toujours sur les franges de l’émotion, préférant le crayon à l’aquarelle. Une manière très particulière de distiller des mouvements d’une élégance parfaite sans une once de lyrisme, et de rompre soudain cette harmonie abstraite avec une brutalité animale, digne du Sacre du Printemps. C’est d’ailleurs l’impression que l’on a sans cesse au long de cette évocation en quelques tableaux, juxtaposés comme feuilles d’album, d’un des plus célèbres textes japonais, le Conte du coupeur de bambous, daté du Xe siècle, qui raconte comment une princesse lunaire venue sur terre, déclenche guerre et convoitises, et s’en retourne assez tristement dans sa sphère, après avoir elle-même frôlé l’amour. Une méditation en pointe sèche sur la mauvaise condition humaine.
Kaguyahime fut présenté en mars 1991 par le Nederlands Dans Theater à l’Opéra de Paris, et fit grande impression par sa force nerveuse et l’originalité de son sujet. Créé trois années auparavant, c’était alors l’un des joyaux de la troupe, que Kylian dirigeait. L’œuvre fut notamment plébiscitée pour le contraste provocant qu’elle offre avec son alternance de gagaku antique, fin, miaulant, obsédant, et l’indescriptible énergie des tambours de Kodo, forme née de sources antiques, certes, mais formidablement adaptée au aspirations rythmiques d’un monde rock. Le tout intégré dans une partition de Maki Ishii, qui utilise aussi des percussions occidentales.
Ces chocs dynamiques secouent puissamment et permettent aux danseurs de se déchaîner, ce qui doit être un régal pour eux. La troupe de l’Opéra, lequel fait entrer cette œuvre à son répertoire, en donne la preuve, et les garçons de la nouvelle vague, notamment Carbone, Hoffalt et Heymann, étoile utilisée exactement comme les sujets. Les filles aussi sont réjouissantes, même si ces batailles sur fond de percussion évoquent un style ancien, celui de Félix Blaska, qui fit les beaux soirs du Théâtre de la Ville dans les années 1970.
Là où l’on s’interroge, c’est sur le choix de l’interprète principale par Jiri Kylian, et que se pose la question toujours sans réponse de la vision du créateur face à celle que développe le public. Jeune fille délicate, aux lignes dessinées par le plus subtil et évanescent pinceau, et dont les éclairages du ballet imposent en plus que ses gestes découpent très purement l’espace, Kaguyahime est incarnée par la plus musculeuse, la plus large, la plus walkyrienne des danseuses de l’opéra, Marie-Agnès Gillot, qui ne parvient jamais, malgré l’excellence de sa technique et l’engagement de son art, à créer un instant de rêve.
En alternance avec elle, Agnès Letestu, par la longueur de ses lignes et le caractère graphique de sa gestique, semble mieux indiquée pour ce rôle tout en élégance, tout comme la sinueuse Alice Renavand, laquelle n’est encore que sujet, Quant au Mikado, campé fugitivement par Stéphane Bullion, nouvellement étoile, il a trop peu à faire pour laisser de trace. Reste la beauté du décor, ou plutôt de la scénographie de Michael Simon, opposant lune et soleil, avec quelques tableaux saisissants. Reste surtout la splendeur des tambours de Kodo, on l’a dit, lesquels, plus faciles à intégrer dans nos sensibilités que le difficile Gagaku, méritent à eux seuls le déplacement.
Jacqueline Thuilleux
Jiri Kykian : Kaguyahime – Paris, Opéra Bastille, le 14 juin, puis les 18, 24, 27, 30 juin & les 2, 4, 5, 7, 8, 10, 11, 13, 14, 15 juillet 2010
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Photo : Opéra national de Paris
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