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Compte-rendu : Allemagne / Salonen et le Philharmonia Orchestra à Dortmund - Style et plénitude
Benedikt Stampa est un homme avisé. Intendant et Directeur général du Konzerthaus de Dortmund (magnifique salle de 1550 places à l'acoustique idéalement claire et équilibrée, inaugurée en septembre 2002), il s’est attaché Esa-Pekka Salonen et le Philharmonia Orchestra pour une résidence exclusive de trois ans, joliment baptisée « Expedition Salonen ». Leurs deux premiers concerts marquaient le coup d'envoi de la saison 2010-2011.
En lever de rideau, l’ouverture de Genoveva de Schumann est un modèle : l'élasticité sans cesse nuancée de la pulsation répond à la parfaite souplesse de l'enchaînement des phrasés. Remplaçant Hélène Grimaud dans le Concerto pour piano, le jeune pianiste finlandais Antti Siirala dévoile une sonorité lumineuse, aux contours très clairs, qui recèle parfois un rien de dureté (début de l’Allegro vivace). Pas le ton, ni le style. Climats et nuances sont très justes (tous les passages affetuoso), en dialogue constant avec un orchestre lui-même très équilibré. La sensibilité de l'écoute mutuelle contribue au dessin idéal de la forme. Mais le voyage auquel nous invitent les Légendes de Lemminkäinen de Sibelius (où, revenant à l'ordre original, le chef intervertit les volets centraux), lui, est simplement vertigineux. Sous cette baguette inspirée, l’orchestre passe avec une agilité confondante du pianissimo le plus ténu à l’éclat le plus vif, donnant à la matière sonore une présence et un relief fulgurants. La spiritualité faite son, la puissance évocatrice, la vivacité mentale de la narration sont littéralement inouïes. Le cygne de Tuonela est immensité tragique. Partie des violoncelles et contrebasses, l'énergie envahit la texture de Lemminkäinen à Tuonela à la façon d’un arc électrique - c’est prodigieux à voir presque autant qu’à entendre, et d'une pureté de style saisissante.
Ouvrant le second concert, Le Tombeau de Couperin de Ravel est pur raffinement chambriste. Fluide, délié, aérien, il est raconté en confidence, mais sans aucune complaisance expressive. La vivacité très directe du Rigaudon s’apparente ainsi à une joyeuse marche dans laquelle passe l’esprit de l’enfance. Les Nocturnes de Debussy signalent ensuite que Salonen s’est éloigné des rivages stravinskiens qu'il avait ici tendance à privilégier. Finesse des timbres, limpidité des phrasés, gradations dynamiques infinies, balance idéale: c'est dans la mise en lumière harmonisée de tous les éléments que le mystère prend sa source. Fêtes affirme des accents aussi stricts que le rebond rythmique est incoercible (la progression de la deuxième section !). Il modèle les phrasés et les « a » du chœur féminin de Sirènes dans un geste qui unit ampleur lyrique et densité expressive. Après une telle plénitude, on n'imaginait pas entendre changement de personnalité sonore aussi radical que celui soudain à l'oeuvre dans les onze numéros choisis du Roméo et Juliette. Le métal de l'orchestre de Prokofiev paraît flambant neuf, sorti d'usine, si on ose dire. Mais un usinage de haute précision: en concert, on croit entendre certains détails pour la première fois, tant la virtuosité du geste n'est pas antinomique de la finition ciselée du détail – au contraire. Accents, contrastes et couleurs sont d'une rare consistance, mais sans lourdeur aucune. Le tempo très enlevé, l'articulation virtuose et la tension extraordinaire qui enflamment La Mort de Tybalt en font un sommet de cette lecture magistrale, cette fois encore essentielle. Le couple fusionnel que forment Salonen et le Philharmonia est décidément aujourd'hui quelque chose d'absolument unique: un monde en soi, une classe à part, que personne ne saurait leur disputer.
Rémy Louis Dortmund, Konzerthaus, 14 et 16 septembre 2010
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