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La Chronique de Jacques Doucelin - Charles Garnier en majesté
Connaissez-vous Charles Garnier ? Je vois d’ici votre regard furibond : - Tout le monde ne connaît-il pas l’Opéra de Paris qui porte son nom ! » Certes, mais qui connaît l’homme qui se cache derrière l’architecte de Napoléon III ? Saviez-vous, par exemple, qu’il était fils d’un ouvrier et d’une lingère ? Cela explique pourtant beaucoup de choses : on ne saute pas impunément les échelons de la société pour arriver jusqu’à l’Institut ! Cela a produit plus d’un homme stressé et angoissé, sujet à des dépressions cyclothymiques… De fortes personnalités, en tout cas, que la lutte quotidienne pour pallier le manque de « naissance » a aguerries ; complexes, voire contradictoires dans la vie de tous les jours à l’atelier comme à la ville.
C’est tout cela que vous découvrirez dans la jubilation des deux expositions que l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris consacre à l’un de ses plus brillants élèves : Charles Garnier (1825-1898). La première a été scénographiée par le metteur en scène lyrique canadien Robert Carsen. Tenant compte du fait que cette première exposition est accueillie par le vaste bâtiment édifié par Felix Duban, le professeur de Garnier, il a évoqué au rez-de-chaussée la vie quotidienne de l’homme et de l’architecte qu’on retrouve ainsi à sa table, en fait à une volée de tables de travail, environné de crayons, de lettres, d’esquisses et de dessins de toutes sortes.
En plongeant dans la correspondance, Carsen a ramené des trésors dans ses filets dont il a tiré de délectables extraits qui tapissent les murs de cette immense première salle et nous découvrent un Charles Garnier écrivain à l’esprit vif, à la plume ajustée : une tête bien faite à la Voltaire, mais où se combattent aussi l’esprit de géométrie du constructeur et la fantaisie nourrie au romantisme européen du décorateur. Au fil des vitrines, on repère des pièces de théâtre écrites par le futur architecte de l’Opéra pour distraire ses camarades de la Villa Médicis où l’a mené un Premier Grand Prix de Rome remporté en 1848 : il a vingt-trois ans, l’âge des révolutions… Pas pour celui qui a une revanche sociale à prendre.
Ses carnets de voyages permettent de suivre au travers de ses dessins ou de ses aquarelles sa découverte de la Grèce et de Constantinople : il a l’œil et la main mais ne lésine pas sur la couleur dont il pare tous les temples grecs qu’il croque page après page. Il a été élevé dans l’émerveillement de la découverte des fresques ramenées au jour à Pompéi. Dix ans plus tard et au terme d’une première dépression psychologique, il épouse Louise Bary, de grande famille, qui saura lui ouvrir les portes des salons parisiens les plus en vue sans lesquels il n’y a pas de carrière parisienne : il piétine, il piaffe, mais il est prêt quand il remporte à la surprise générale en 1861 le concours pour la construction d’un nouvel Opéra. Au grand dam de l’Impératrice Eugénie, soutien déclaré de Viollet-le-Duc, qui se scandalise de voir son poulain devancé par un jeune inconnu !
Si vous regardez bien, dans la salle du premier étage vouée toute entière à son chef-d’œuvre, le Palais qui porte son nom et dont le sol reproduit le plan - jolie idée de Robert Carsen ! – vous découvrirez, se faisant face, le dessin du projet de Garnier et celui beaucoup plus conventionnel de son rival malheureux… comme quoi un dessin réussi vaut quelque fois mieux qu’un long discours. Cette déambulation sous les cimaises de son professeur à l’Ecole des Beaux arts Félix Duban, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Opéra par des photos de chantier, des croquis de mascarons ou de trumeaux, des vues du grand escalier chipé au Grand Théâtre de Bordeaux de Victor Louis, n’exclut pas quelques excursions parfois savoureuses.
Garnier a découvert le Midi et singulièrement la Riviera où il construit quelques villas… dont la sienne sur les hauteurs de Bordighera où il passera tous ses hivers avec son épouse Louise. Il signe aussi un nouveau Casino et une salle de concerts qui deviendra le second « Opéra Garnier » à Monaco. Lui et les membres de son atelier d’architecte ont été visiblement marqués par l’Exposition universelle de 1889 dont ils croquent à l’envi les maisons mauresques, le pavillon japonais comme les huttes africaines sur pilotis présentés dans le cadre de L’histoire de l’habitation humaine. Ne ratez pas non plus le dessin du catafalque de Victor Hugo sous l’Arc de Triomphe en 1885 : bigre, l’architecte du Second Empire a su honorer le poète banni…
Outre les portraits de jeunesse ou officiels, vous croiserez dès cette première exposition nombre de caricatures de Charles Garnier souvent représenté les pieds sur un coin de table à l’américaine. Car il a eu des ennemis à la mesure de son génie et de ses contradictions à la limite du caractériel. Au point que son épouse Louise lui a souvent sauvé la mise. S’il admirait l’ingénieur Gustave Eifel et s’il fit appel à lui (il y a plus de fer qu’il n’y paraît dans les marbres du Palais Garnier…) il n’en signa pas moins la pétition réclamant le démontage de… la tour Eiffel ! Garnier à la fois moderne et conservateur. On le pressentait avec la plume acérée de ses lettres : il y a du polémiste chez lui.
Pour en juger, descendez au rez-de-chaussée jusqu’au cabinet des dessins où sont rassemblées un choix de ses caricatures bien dans l’air du temps, celui de Daumier. Il s’est exercé dès l’époque de la Villa Médicis sur ses condisciples. Plus tard, ce sont ses collègues de l’Institut qui feront les frais de son œil impitoyable. Charles Garnier témoin à charge de son temps : il fallait y penser.
Jacques Doucelin
« Charles Garnier, un architecte pour un Empire » : Galerie d’exposition, 13 quai Malaquais, 75006 Paris, jusqu’au 9 janvier 2011 du mardi au dimanche de 13 h à 19 h.
«L’œil et la plume : caricatures de Charles Garnier » : Cabinet des dessins Jean Bonna, 14 rue Bonaparte, 75006 Paris, jusqu’au 30 janvier 2011, du mardi au dimanche de 13 h à 19 h (fermeture du 18 décembre au 3 janvier inclus).
www.ensba.fr/expositions/garnier
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Photo : William Bouguereau, Portrait de Charles Garnier, 1853, huile sur toile, 41 x 32,5 cm, ENSBA (MU 11038)
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