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Compte-rendu : La Flûte enchantée selon Peter Brook - Mozart l’universel
Peter Brook n’a jamais trompé son monde. Quand il proposa avec Jean-Claude Carrière et Marius Constant sa vision de Carmen, il choisit un titre différent, « La Tragédie de Carmen » (1981), puis « Impressions de Pelléas » (1992) lorsqu’ils se sont attaqués au chef-d’œuvre de Debussy. Pour l’ultime opéra de Mozart qui le hante, avoue-t-il, depuis de nombreuses années, le grand metteur en scène anglais annonce « Une Flûte enchantée d’après Mozart » désamorçant ainsi tout reproche d’infidélité à l’original. Il s’agit sans doute plus d’une coquetterie que d’une nécessaire prudence ; c’est en tout cas un souci d’honnêteté intellectuelle dans la présentation de ces sortes de condensés d’opéras célèbres.
Après les deux premières réussites du genre, on attendait beaucoup de son travail sur La Flûte enchantée. Trop peut-être. C’est qu’en vérité le dernier opéra de Mozart est un sacré monstre qui ne se laisse pas aussi facilement apprivoiser qu’une tragédie dont on peut resserrer les fils sans trop de dommages. Le librettiste Schikaneder, on le sait, a tiré la sonnette du compositeur pour lui demander de sauver son théâtre de boulevard de la faillite en lui écrivant une féerie qui plaise au peuple. Et, de fait, à la création en octobre 1791, les ouvriers des faubourgs de Vienne fredonnaient les airs de l’oiseleur Papageno dont les facéties vocales n’ont pas pris une ride en deux siècles : succès assuré, y compris aux Bouffes du Nord !
Il fallut tout le métier et tout le génie de Mozart pour transcender les ambiguïtés d’un livret ficelé à la hâte et encombré en cours de route d’un fatras maçonnique qui sonne comme l’ultime tentative des maçons autrichiens de s’opposer à la répression impériale qui allait se déchaîner sitôt la mort du compositeur. La musique va tout droit, lumineuse, pleine de l’amour de l’humanité et des passions humaines. Ce sont ces dernières que Brook a tenu à mettre en exergue en raison de l’universalité que leur confèrent les notes de Wolfgang. Il a sabré : à la trappe les trois dames de la nuit, à la trappe les trois garçons, à la trappe le serpent, à la trappe le folklore maçonnique de cérémonies réduites à leur plus simple expression en raison d’abord de l’absence de chœurs et d’orchestre remplacé par le seul piano du compositeur Franck Krawczyk !
Sept chanteurs et deux comédiens sur scène, une forêt de bambous mobile et bruissante en guise de décor. J’oubliais le sacro-saint carré de tissu pour délimiter l’aire de jeu des protagonistes : on est bien au royaume du magicien Peter Brook. Voilà où les corps se frôlent, où les âmes s’émeuvent, où Mozart l’emporte même en chuchotant… Car ce qui aurait pu n’être qu’un spectacle pour initiés s’inscrit au creux des visages, dans les mimiques les plus fugaces, les regards tour à tour désespérés et énamourés. Les tentatives de suicide de Pamina et de Papageno sont celles d’adolescents d’aujourd’hui : il suffit d’un peu d’amour pour les contrer. Cela, Brook sait le dire. Pas la pompe qui entoure le règne de Sarastro qui apparaît ici comme une sorte de petit frère des pauvres…
Grâce à la qualité de cette distribution (il y en a quatre au total d’un panachage à l’autre), tout fonctionne jusqu’à la fin où trois couples se forment : les princes Tamino et Pamina, les rustres Papageno et Pagagena, mais aussi Sarastro généreux in fine envers la méchante Reine qu’il prend par l’épaule en un geste protecteur et affectueux. Ces six chanteurs sont à féliciter : la Reine algérienne aux contre-fa aisés de Malia Bendi-Merad, le Sarastro digne de la basse lyonnaise Luc Bertin-Hugault, le Tamino rayonnant du ténor australien Adrian Stropper, la Pamina bouleversante de la soprano chinoise Lei Xu, l’irrésistible Papageno du baryton bordelais Thomas Dolié et sa Papagena jordanienne Dima Bawab. Le ténor français Raphaël Brémard a encore du mal à conjuguer les partitions de Brook et de Mozart dans le rôle bouffe de Monostatos.
Les puristes trouveront peut-être la fin un peu plate et se demanderont ce que vient faire une chanson populaire confiée à un comédien tenant le rôle de Papagena lors de sa première apparition. Nous les renverrons au titre de ce spectacle qui comble apparemment les attentes de ses spectateurs.
Jacques Doucelin
Mozart/ Brook/ Krawczyck : « Une Flûte enchantée » - Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, les 12 novembre 2010. Représentations jusqu’au 31 décembre du mardi au samedi à 21 heures ; matinées les samedis à 15h30 (représentation à 21h uniquement le 25 décembre) ; relâche les dimanches et lundis.
Réservations : 01.46.07.34.50
www.bouffesdunord.com
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Photo : Pascal Victor / ArtComArt
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