De Paris à Versailles : l'un des programmes phares de l'Orchestre Les Passions (avec ici seulement dix musiciens), précédemment entendu tant au Palais Farnèse de Rome qu'au Festival Música, Història i Art de Valence – et le 3 mai prochain à Saragosse, Les Passions se faisant ambassadeur des XVIIe et XVIIIe siècles français. Ce concert strasbourgeois était donné en l'église du Bouclier, paroisse réformée à l'origine fondée par Calvin lui-même, dans le cadre de la saison du 35ème anniversaire de l'AMIA(1). Initialement prévue avec Vincent Lièvre-Picard puis Howard Crook, cette soirée fut en définitive l'occasion de découvrir l'étonnant haute-contre David Tricou. De même, Yasuko Uyama-Bouvard, malheureusement empêchée, fut brillamment remplacée, in extremis, par Aline Zylberajch, bien connue pour sa collaboration, notamment, avec Le Parlement de Musique de Martin Gester.

À quatre œuvres vocales pour trois voix d'hommes de Marc-Antoine Charpentier répondaient deux suites instrumentales signées Marin Marais et François Couperin : d'abord, la saison liturgique y invitant, l'In circumcisione Domini et son dialogue des anges et des bergers (H.406), puis une Suite pour deux dessus (violon et flûte) et basse continue de Marais – où d'emblée l'on retrouvait les qualités premières de jeu et de direction de Jean-Marc Andrieu, flûtiste et chef, créateur des Passions (1986), en résidence à Montauban : une puissante continuité mélodique sous-tendue d'une vivacité dansante, élégamment colorée et d'une irréprochable stabilité rythmique, harmonie et vie mêlées. La première partie, en une belle symétrie, se refermait sur des Litanies de la Vierge (H.48). David Tricou, haute-contre dans la tradition française (ténor aigu en voix naturelle, puissante et d'une ligne de chant très séduisante) et le ténor Sébastien Obrecht y resplendirent en voix parallèles à la tierce, intervalle poétiquement fusionnel entre tous.

La symétrie dut être abandonnée – heureux hasard, car l'enchaînement final offrit un beau contraste – dans la seconde partie : le diapason entre orgue (pièces vocales) et clavecin (pages instrumentales) du continuo différant légèrement du fait de la température, chaque alternance exigeait de réaccorder tous les instruments en fonction du clavier concerné, opération un peu longue et fastidieuse pour le public, bien que riche d'enseignement puisque révélant l'infinie subtilité de l'accord des instruments. Couperin ouvrit donc la seconde partie, avec des extraits du Troisième Concert royal, occasion d'entendre en solistes Aline Zylberajch, rayonnante, et Étienne Mangot à la basse de viole. S'ensuivit l'une des pages les plus profondément émouvantes de la soirée, les voix des trois protagonistes – avec la basse Jean-Manuel Candenot – s'unissant en un merveilleux équilibre : Salve Regina (H.23) pour « trois voix pareilles » et la seule basse continue, d'une bouleversante beauté (étreignants chromatismes sur « cette vallée de larmes »). Puis son contraire en termes d'exubérance hautement contrôlée : Magnificat « à trois voix sur une basse obligée avec simphonie » (H.73), sorte (en extrapolant à peine) de grande et noble valse lente sur une basse (très) obstinée – « drogue dure » !, selon Jean-Marc Andrieu, au point de mettre en mouvement, sous l'hypnotique emprise du rythme a 3, non seulement voix et instruments, mais aussi les corps des musiciens et jusque dans l'assistance, immédiatement conquise par cette somptueuse élaboration – formidables accents sur Abraham, tel un éventail de chatoyante richesse harmonique qui brusquement se déploierait d'un simple geste du chef. Après une telle œuvre, aucun bis n'était possible – sinon la même, de nouveau et en entier, devant un public enthousiaste et comblé.

Michel Roubinet

Strasbourg, église du Bouclier, 22 janvier 2011

Les Amis de la Musique sur Instruments Anciens

Sites Internet :

Les Passions

http://www.les-passions.fr/index.htm

AMIA (Amis de la Musique sur Instruments Anciens), Strasbourg

http://amia.online.fr/

Église réformée du Bouclier

http://huguenotsinfo.free.fr/temples/strasbourg_bouclier.htm

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