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Vous avez dit « petit rôle » ? - Une interview de Ewa Podles, contralto
La grande Ewa Podles est à Paris, invitée par l'Opéra Comique où elle abordera pour la première fois Mme de la Haltière dans Cendrillon de Massenet, dirigé par Marc Minkowski du 5 au 15 mars. Après une longue et étourdissante carrière au service de Rossini, Haendel, Vivaldi et Gluck, la célèbre contralto polonaise a choisi de ralentir le rythme effréné de son activité, sans pour autant abandonner la scène. Elle s'est confiée sans détour, avec humour et franchise, à concertclassic.
A la différence de vos consœurs qui n'osent pas chanter les rôles dits « de caractère », lorsqu'elles sont en pleine possession de leurs moyens, il y a longtemps que vous alternez les grands emplois du répertoire rossinien, haendelien, gluckien qui ont fait votre gloire, avec ce type de rôles plus courts, mais souvent intenses et attendus. Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à aborder ces personnages bien avant d'être en toute fin de carrière ? Considérez-vous qu’il n'y a pas de petits rôles ?
Ewa PODLES : Exactement! (rires). A la vérité, je ne peux plus chanter Cenerentola, Rosina, ou les jeunes soldats, je suis désormais une vieille sorcière qui doit choisir les rôles adaptés à son âge. Ceux-ci sont différents, mais me permettent de toucher le public d'une autre manière. Avant je ne pouvais pas alterner Verdi, Wagner et Strauss, avec des partitions baroques, ma voix n'était pas la même, elle a évolué, s'est assombrie, élargie et m'offre la possibilité d'agrandir mon répertoire. J'ai trouvé des « petits rôles » parfois plus intéressants que certains rôles-titres ; même s'ils sont plus courts, ils me satisfont artistiquement et me fatiguent moins et après trente cinq ans sur scène c'est important. Chanter quatre heures sans quitter le plateau m'est devenu pénible. Désormais je peux interpréter Klytämnestra (Elektra), un drame magnifique où le texte et la musique ne font qu'un. La comparaison avec les interminables « Presto, andiam », de Rossini est édifiante. Ces personnages m'intéressent davantage, car je peux chanter un répertoire que je ne pensais pas pouvoir aborder, comme La Gioconda, Un ballo in maschera... Ces rôles de caractère ne sont petits que pour les artistes qui ont peu d'envergure.
Vous avez étudié au Conservatoire de Varsovie auprès d'un unique professeur, la soprano Alina Bolechowska. Comment avez-vous appris à travailler cette voix rare de contralto à ses côtés, au point de pouvoir pratiquement tout chanter à votre sortie?
E.P. : Je suis issue d'une famille de musiciens, ma mère chantait, ma sœur plus âgée a tenté la carrière mais ses professeurs ont détruit sa voix, au point de tout abandonner. Elle n'était peut être pas assez forte pour faire face à toutes les difficultés et son cas a été pour moi une expérience cruelle, qui m'a poussée à faire attention aux folies des pédagogues. Quand j'ai commencé les leçons avec Alina, j'étais très prudente, j'ai écouté ses conseils, tout en ayant le courage de refuser certaines propositions : notre rencontre a été pour moi un cadeau de Dieu. Vous ne savez sans doute pas que lorsqu'Alina chantait Madama Butterfly, je jouais déjà son fils sur la scène.
Cela fait cinquante cinq ans que je fais ce métier! Ma mère était choriste et j'ai passé mon enfance à ses côtés dans les loges, à me maquiller et à me déguiser. Quand j'ai pris mes premières leçons de chant, Alina commençait son travail de professeur. Je suis arrivée en retard et elle m'a reconnue en s'écriant : « Mais voici l'enfant de Butterfly ». Nous sommes devenues amies et n'ayant ni mari, ni enfant elle m'a considérée comme sa propre fille. Elle a toujours été à mes côtés et nous avons travaillé jusqu'à sa mort. Cependant il m'est arrivé de refuser de chanter quand je ne comprenais pas ce qu'elle attendait de moi. Nous avons essayé de trouver ensemble la manière la plus commode pour moi de chanter. Lorsque le son était bon et que j'étais à l'aise, nous le conservions et je devais m'en souvenir. Vous savez, apprendre à chanter relève du mystère : tout est à l'intérieur. Chacun essaye de mettre des mots, mais c'est difficile. Alina fut mon unique professeur, je n'ai jamais suivi aucun autre cours, ni participé à aucune master class, j'ai travaillé avec elle, puis seule pour résoudre les problèmes et trouver comment y remédier.
Alors que l'ensemble de votre carrière a été marquée par votre contribution au répertoire rossinien et haendelien dans lesquels vous êtes devenue une référence, on oublie souvent que vous avez débuté en 1975 avec Mozart et Dorabella, puis quelques Rossini légers. Saviez-vous avec précision que le secret de votre longévité vocale était la prudence et qu'un jour viendrait où vous pourriez aborder les rôles plus lourds?
E.P. : Oui, ces rôles étaient écrits pour moi, légers, aigus et correspondaient à mes capacités de l’époque. J'étais clairvoyante et ma mère me répétait sans cesse de prendre garde, car je ne pouvais pas dire que j'étais contralto, ce qui n'interdisait pas certains directeurs de me proposer Azucena ou Ulrica : je leur répondais : « Oui, mais dans trente ans ! ». J'ai utilisé ma voix avec prudence et sagesse et je dis à mon tour aux jeunes chanteurs de ne pas accepter toutes les propositions, car nous ne sommes pas prêts à vingt-cinq ans. Regardez combien d'artistes ont été détruits par Karajan. On ne devait rien lui refuser, sous peine de ne jamais être rappelé, mais je me souviens d'un Don Carlo chanté par une jeune soprano à la voix divine, Fiamma Izzo d'Amico. Elle ne pouvait pas finir l'opéra : sa carrière a été météorique.
Vous avez souvent raconté que vous deviez votre notoriété à votre premier Rinaldo au Met en 1984, opéra que chantait au même moment Marilyn Horne. Comment vous étiez-vous préparée au chant baroque orné que par la suite vous avez tant interprété?
E.P. : Ces ouvrages n'étaient pas fréquents en ce temps là ! J'aurais préféré débuter sur cette scène prestigieuse dans une œuvre plus connue. A ce moment là peu d'artistes étaient invités au Met, il fallait avoir fait carrière en Europe. J'avais la voix, possédais la technique requise, mais je n’avais pas assez d'expérience, car j'avais eu peu d'engagements en dehors de Varsovie. Pourtant James Levine m'a auditionné et immédiatement confié ce Rinaldo, en seconde distribution. Mais je le dis sans fausse modestie : ce n'était pas encore Ewa Podles.
L'oratorio, la mélodie, la musique russe et polonaise que vous défendez, Donizetti, Verdi, Puccini, Ponchielli, Vivaldi, Bizet, Saint-Saëns, Wagner, Tchaïkovski et Strauss ont ponctué votre longue carrière : ces choix ont-ils été strictement déterminés, ou se sont-ils enchaînés naturellement?
E.P. : J'ai accepté les propositions, rien n'était construit ou prémédité, seulement à mes débuts, car je devais refuser ce qui était en dehors de ma portée, sinon je ne serai pas là pour vous parler. Si je ne connaissais pas la partition, je demandais une semaine de réflexion. Je devais étudier de près chaque rôle, car je n'ai jamais été mezzo ; j'avais les aigus mais ne pouvais pas rester dans cette tessiture, trop haute et trop longtemps. C'est ce qui a tué ma sœur. J'ai ajouté des notes élevées chez Haendel, Rossini et Vivaldi, dans les cadences, mais sans les tenir. Je devais être attentive.
Parlons de Massenet et de ce Cendrillon créé à l'Opéra Comique en 1899 où vous répétez en ce moment même, et qui à la différence de La Cenerentola rossinienne, à conservé comme dans le conte de Perrault le personnage de la marâtre, Mme de la Haltière. Qu'appréciez-vous dans cet opéra que vous retrouverez à Londres en juillet prochain avec Bertrand de Billy et Laurent Pelly et comment le situez-vous dans le corpus massenien ?
E.P. : Je chante ce rôle pour la première fois et ne connaissais pas cette œuvre. Marc est venu à Varsovie pour me demander de l'interpréter, mais j'ai d'abord refusé. Je regrette que Massenet n'ait pas écrit de scène entre Cendrillon et Mme de la Haltière, ni avec ses sœurs. Je suis méchante avec mon mari, ce qui donne lieu à quelques scènes cocasses. Vous savez j'aime par-dessus tout la création, partir à la recherche de ce qui peut être mis en valeur. Que je chante du baroque, ou Verdi, je chante toujours avec la même voix, seule l'expression change, avec le corps également, mais je ne modifie jamais ma manière de chanter.
Pour l'occasion l'œuvre sera dirigée par Marc Minkowski, un chef avec lequel vous avez partagé plusieurs expériences (Armide, Ariodante, Orphée aux Enfers). Qu'attendez-vous de sa lecture de cette œuvre ?
E.P. : Ah, Marc est un chef idéal ! Je l'aime depuis notre première rencontre, il est tellement différent des autres. Je suis très sensible aux chefs, ils me dérangent, m'énervent, j'en déteste beaucoup, car ils jouent de leur pouvoir et je n'aime pas cela, cette attitude m'agace, car souvent ils ne savent pas diriger, ne comprennent pas les phrasés. Cela m'est souvent arrivé, étant souvent furieuse à leur encontre, je n'ai pas hésitée à me disputer avec nombre d'entre eux. On ne peut pas chanter sans respirer ! Si je suis fatiguée, je fatigue le public qui ne respire pas non plus. Je me suis fait beaucoup d'ennemis, mais n'ai jamais eu peur : s'ils ne veulent pas de moi, je pars. Marc respire, danse, c'est un plaisir de le voir diriger et de chanter avec lui. Je cherche toujours de nouvelles couleurs, de nouvelles dynamiques et lui cherche encore plus que moi. C'est très rare.
Contrairement à Barcelone où vous êtes adulée, Paris n'a guère eu l'occasion de vous applaudir : Rinaldo au Châtelet en 1985, Samson et Dalila à la Bastille en 1991, un Tancredi à Poissy tout de même, quelques concerts et récitals : comment l'expliquez-vous et en éprouvez-vous des regrets ?
E.P. : Barcelone est un peu une seconde maison. Non je ne regrette pas, car je n'ai jamais cessé de travailler. Aujourd'hui j'ai décidé de ralentir mes prestations car je veux profiter de la vie, de ma famille. Aller aux Etats-Unis est devenu trop difficile, j'en ai assez de voyager ; avant il ne me fallait qu'une semaine pour me remettre du décalage, maintenant j'en ai besoin de trois. Je veux aller à la campagne, prendre le temps, je suis grand-mère et je veux être disponible. Je ne veux pas mourir sur scène ! (rires).
Si Paris n'a pas su vous ouvrir ses bras, le sud de la France, Toulon et Avignon notamment, ont su vous proposer les grandes partitions qui sont les vôtres : quels souvenirs gardez-vous de ces invitations?
E.P. : De très bons souvenirs : tout était parfaitement organisé, l'accueil chaleureux et je dois avouer que j'adore la cuisine et le vin français. Je suis ravie de me rendre bientôt à Nice pour Elektra. Il m’est plus commode de me déplacer en Europe. J'ai tout de même prévu de me rendre à San Diego pour chanter Mme de Berkenfield (La fille du régiment) ; je devais aller à New York pour interpréter La Dame de pique, mais j'avais donné mon accord pour Cendrillon à Paris.
Il y quelques années vous déclariez que l'essentiel dans ce métier était d'avoir une bonne santé. Est-ce toujours vrai?
E.P. : Il faut toujours être en pleine forme car le public vous aime, mais peut également changer d'avis. Si je suis fatiguée, malade, personne ne veut le savoir, c'est pour cela que je n'annonce jamais quand je suis indisposée, je refuse d'en informer le public pour éviter que l'atmosphère soit lourde. Si nous ne disons rien, tout se passe bien.
Propos recueillis par François Lesueur, le 8 février 2011
Massenet : Cendrillon
Paris – Opéra Comique
Du 5 au 15 mars 2011
Infos : www.opera-comique.com
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Photo : DR
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