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La Chronique de Jacques Doucelin - Plongée dans la finance lyrique
Il vaut mieux ne pas oublier son scaphandre ni sa cotte de mailles quand on veut effectuer une plongée dans les profondeurs de la finance des grands opéras du monde. Bien peu s’y sont risqués. C’est pourquoi le dernier ouvrage de Philippe Agid et de son compère Jean-Claude Tarondeau, « Le Management des opéras/ Comparaisons internationales » (1), nous a fait saliver dans l’attente de révélations éclairantes, sinon croustillantes. Car la perspective de mise en abîme des comptes et des budgets des principaux temples de l’art lyrique, du Met de New York à l’Opéra de Vienne en passant par celui de Munich, le Covent Garden de Londres, la Scala de Milan et l’Opéra de Paris, a de quoi vous rendre impatient au lendemain de la crise financière mondiale qui a secoué tout le monde culturel sur la planète.
Enarque, donc géomètre face aux saltimbanques du contre-ut, Philippe Agid a déjà secoué le cocotier lyrique en publiant en 2006 « L’Opéra de Paris, gouverner une grande institution culturelle »(2) sorti tout droit de son expérience de directeur adjoint de l’Opéra de Paris sous l’ère Hugues Gall. Ce dernier avait fait appel en désespoir de cause à ce spécialiste des relations humaines, notamment aux ciments Lafarge, pour dénouer la crise née de l’application de la loi sur les 35 heures à la « Grande Boutique » comme disait déjà Verdi.
Cette dernière représente, en effet, le parfait contre-exemple de l’entreprise exploitant honteusement le pauvre peuple durant 39 heures par semaine… Il fallait y penser et surtout avoir un œil neuf pour constater l’inimaginable, à savoir que Madame Aubry, mère de ladite loi sur les 35 heures, avait du même coup arraché aux malheureux techniciens de l’Opéra Bastille le privilège insigne de ne travailler que 32 heures par semaine (phénomène analogue à ceux observés chez les ouvriers du Livre CGT, les dockers, les marins des lignes reliant la Corse au continent, voire dans certains hôpitaux).
Ce lièvre une fois levé dans le maquis des diverses conventions collectives régissant la marche cahoteuse de l’Opéra de Paris, celui-ci sortit de la crise de 2003 tout ragaillardi en réalisant de substantielles économies ! On put même, avec les heures « supplémentaires » ainsi dégagées, rétablir une fois par mois la matinée du dimanche, réclamée par le public mais sacrifiée sur l’autel de la politique sociale, à l’intention des provinciaux et des personnes âgées. C’est peu de dire que l’avènement de l’ère Mortier ramena un certain laxisme dans la gestion des dépenses de personnel… A en juger par la prolifération des dépôts de préavis de grève… non suivis d’effet fâcheux sur les spectacles, il est permis de s’inquiéter : ils n’ont pas été levés sur la bonne mine de Gerard Mortier, mais sur l’obtention de bonnes espèces sonnantes et trébuchantes.
On peut faire confiance aux syndicats qui ont toujours très bien défendu les intérêts de leurs mandants. Nul doute que ces syndicats ont su surfer sur la « surchauffe » de la machine provoquée par les exigences programmatiques de l’administrateur flamand afin de reprendre des avantages réputés « acquis » : autant de bombes à retardement pour temps difficiles ! Autant dire qu’en dépit d’un taux de remplissage exemplaire, son successeur Nicolas Joel fait figure de funambule marchant sur un volcan…
Ceux qui attendent des chiffres précis sur ce sujet du nouvel ouvrage de Philippe Agid resteront sur leur faim. Cherchant à dégager des lois générales s’appliquant à la gestion des théâtres lyriques des deux côtés de l’Atlantique et donnant lieu à de nombreux tableaux, celui-ci en reste aux données globales. Sans doute pressés par le temps – ou par leurs éditeurs, car ils ont d’abord publié leur livre en anglais aux Etats-Unis et en Grande Bretagne – les auteurs ont essentiellement puisé dans des études faites par les différentes associations d’opéras (Etats-Unis et Europe) et dont les résultats datent des années 2006-2007 pour la plupart, c'est-à-dire bien avant qu’aient pu se faire sentir les conséquences de la crise financière mondiale qui n’a explosé qu’en 2008.
D’autant plus dommage que la musique, et plus encore l’art lyrique sont mondialisés depuis des siècles. On pourrait même affirmer qu’ils ont ouvert la voie à la mondialisation depuis le XVIIe siècle, de Lully à Versailles à Haendel à Londres. Partant, on n’a pas exporté que des castrats, des divas colériques ou des phénomènes instrumentaux comme Liszt, Paganini ou Horowitz, mais aussi bien des modes de gestion des théâtres, qui ont voyagé outre-Atlantique avec les impresarios européens.
Par ailleurs, est-il bien raisonnable de considérer le festival estival de Glyndebourne comme une banale saison de théâtre lyrique ? A propos de Glyndebourne, l’orchestre de fosse n’est pas le LSO, mais le London Philharmonic… La précipitation entraîne ainsi plusieurs erreurs de détail qu’une relecture aurait pu éviter. On est surtout frustré de ne trouver que des pourcentages et des budgets, mais pas d’élément de comparaison concret : on aimerait ainsi beaucoup savoir à combien s’élèvent les personnels de Covent Garden, du Met de New York, de l’Opéra de Vienne, de la Scala de Milan et de l’Opéra de Paris. Ce serait de vraies comparaisons non abstraites. Enfin, pourquoi ce silence sur la vie lyrique en Russie dont le mode de gestion rappelle beaucoup celui des pays germaniques avec une troupe de chanteurs solistes ? Y a-t-il une telle différence dans le financement des opéras de part et d’autre de l’Atlantique ? La seule différence, c’est qu’aux USA on a le droit de choisir à quoi sert son impôt : on paye d’abord et la somme vous est défalquée. Que toutes ces questions ne vous détournent pas d’ouvrir ces 300 pages pleines de renseignements et d’idées neuves… pour poser d’autres questions !
Jacques Doucelin
(1) « Le management des opéras » de Philippe Agid et Jean-Claude Tarondeau (éditions Descartes et Cie, 2011)
www.opera-management.fr
« L’Opéra de Paris, gouverner une grande institution culturelle » (Editions Vuibert, 2006)
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