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Suisse / Les Vêpres siciliennes selon Christof Loy à Genève - la Menace fantôme - Compte-rendu
Ce n'est pas tous les jours qu'on en appelle au directeur du Grand Théâtre de Genève. Encore moins en plein spectacle, au milieu des huées. Une nouvelle fois, Christof Loy, le metteur en scène le plus invité à Genève, a oeuvré de son plus grand talent : retourner le public contre lui. Sa nouvelle production des Vêpres siciliennes est pourtant bien inoffensive, même dans la séquence d'humiliation féminine en déshabillés seyants à la fin du deuxième acte.
Le problème avec Christof Loy, ce n'est pas tant qu'il refuse tout élément de décor ou toute illustration du livret (ce pourrait même être porté à son crédit, qui n'est pas nul), c'est surtout qu'il le fait sans la moindre créativité. Quand on se prétend plus intelligent qu'une œuvre, il faut en avoir les moyens. Lui ressasse les gimmicks les plus éculés du Regietheater à l'allemande, avec la forfanterie d'un élève appliqué qui se prendrait pour un visionnaire : hangar désert, chaises et néons blafards (comme dans sa récente Donna del lago), inscriptions sur les murs (comme dans sa Lucrezia Borgia), smokings, tailleurs noirs et devant de scène pour les moments intimistes (comme dans sa Lulu de Londres).
Seules les subreptices projections d'archives de France et de Sicile nous font un instant espérer qu'il s'agit bien des Vêpres siciliennes, mais rien ne dure chez Christof Loy. Aucune idée n'est tenue jusqu'à son terme, même quand il en a de bonnes, comme celle de cuirasser Montfort sous des habits royaux au moment du duo avec Henri, seule scène en costumes d'époque. À force d'inconstance, tout n'est que caprice chez celui qui préfère manier des concepts incidents plutôt que de travailler la continuité du théâtre. Il est vrai que c'est plus facile. Le comble est atteint lorsqu'il se vautre dans la psychanalyse de comptoir en remplaçant le ballet initial des quatre saisons par un ballet oedipien pour danseurs en culottes courtes au milieu des couvercles de l'ancienne cuisine de maman, avec papier peint à l'appui ! Nouvelles huées.
Assistant à ce spectacle aussi inutile que grotesque pour expliquer son enfance, le ténor Fernando Portari en Henri, ne sait visiblement lui non plus comment se tenir. Pataud, affublé d'une lourde veste pendant tout le spectacle, il semble avoir davantage été écrasé par le mépris du metteur en scène que par le joug paternel. Sa voix n'y gagne rien : trop souvent nasillarde et criarde, elle semble elle aussi très contrainte et ne parvient que trop rarement à s'épanouir. C'est d'ailleurs le cas, suffisamment rare à Genève pour être souligné, de l'ensemble de la production.
En Hélène, la soprano suédoise Malin Byström manque cruellement de charisme (et de graves) pour conférer un souffle tragique à un rôle peu aidé par la dramaturgie disparate du livret. Balint Szabo campe un Procida bien éteint pour un conjuré. Il est vrai que dans un nouveau caprice, Loy le fait mourir (par piqûre sur une camisole - quel génie !), pour en faire un revenant. Une coquetterie symptomatique de la façon pour le moins fantomatique dont il considère l'oeuvre et ses personnages...
Seul Montfort, paradoxalement le personnage le plus humain du livret, transcende la production. Solide, dévastateur d'autorité, le baryton grec Tassis Christoyannis sait aussi lui conférer des trésors de nuance filiale dans les deux derniers actes. Ovationné à juste titre, il a su réconcilier le public de Genève avec les applaudissements. Tout comme l'autre réussite collatérale de cette soirée ratée : l'Orchestre de la Suisse romande. Précis (magnifique clarinette !), chatoyant, nerveux, il fait entendre comme personne sous la baguette d'Yves Abel la variété d'instrumentation à laquelle Verdi s'essayait avec le genre de l'opéra français, préservant cette excitation à produire le drame propre au génie italien, même à partir d'un livret historique passablement délayé. Verdi était bien là, et sous un visage qu'on lui voit rarement. C'est déjà ça.
Luc Hernandez
Verdi : Les Vêpres siciliennes - Genève, Grand Théâtre, 7 mai, prochaines représentations les 13, 16 et 19 mai 2011
www.geneveopera.com
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