Journal
Jeremy Filsell à Notre-Dame de Paris - Maître de l’élégiaque - Compte-rendu
Menant une rare double carrière d'organiste et de pianiste (des Concertos de Mozart à ceux de Rachmaninov et Chostakovitch) et précédé d'une aura discographique extrêmement positive en matière de musique française d'orgue – intégrale Dupré (12 CD, Guild), mais aussi Demessieux, Cochereau, Widor (ASV) et surtout les Six Symphonies de Vierne à Saint-Ouen de Rouen (Signum, Choc du Monde la Musique) – le Britannique Jeremy Filsell (photo), actuellement titulaire des orgues de la National Cathedral (anglicane) de Washington, refermait la saison des concerts d'orgue du soir à Notre-Dame (d'autres concerts auront lieu durant l'été, notamment avec les titulaires), récital marquant également la clôture du Festival Le Paris des Orgues.
1911 était au programme, centenaire oblige, avec la Troisième Symphonie de Vierne et les trois Préludes et Fugues op.7 de Dupré, datés de 1912 mais sans doute composés l'année précédente – Dupré qui suppléera Vierne à Notre-Dame durant la Grande Guerre : programme on ne peut mieux en situation. Si, étrangement, le choc initial (dès l'unisson de l'Allegro maestoso de Vierne, joué sec et staccato par Filsell) fit presque douter de l'excellent styliste révélé par le disque, on pouvait difficilement contester la justesse du tempo, la clarté de la projection (Filsell maîtrise et goûte l'acoustique des grands vaisseaux), ses moyens instrumentaux phénoménaux et son indéniable connaissance du répertoire français et de son esthétique. Il n'empêche qu'une articulation et une scansion excessives, maintes fois heurtées dans les sections vives, chez Vierne comme chez Dupré (Préludes et Fugues n°1 et 3), également quelques chamades intempestives et un crescendo général pas toujours optimalement calculé, ne manquèrent d'étonner…
Le Jeremy Filsell que l'on pensait connaître, ce fut dans les merveilleux mouvements intérieurs de la Symphonie – lyrique Cantilène, Intermezzo lumineux et caustique, bien dans l'esprit de Vierne, Adagio d'une respiration et d'une ductilité bouleversantes, formidablement orchestral – et dans le deuxième diptyque de Dupré (fa mineur) qu'on put véritablement l'entendre : un Filsell maître de l'élégiaque et du demi-caractère, utilisant à merveille l'instrument. Autant les grands déploiements purent par moments sembler clinquants (avec néanmoins d'admirables passages), autant la poésie émanant de ces pages – splendeurs des jeux de fonds de Notre-Dame – fut perçue tel un petit miracle par un public au souffle suspendu.
Sans doute fallait-il du cran pour venir jouer ces œuvres à Notre-Dame : défi en partie magnifiquement relevé – par un musicien dont on ne saurait trop conseiller les Vierne qu'il a confiés au disque.
Michel Roubinet
Paris, cathédrale Notre-Dame, 24 mai 2011
NB: à propos de Vierne, signalons que Solstice – qui a déjà à son catalogue une intégale de l'œuvre d'orgue par Pierre Cochereau à Notre-Dame et George Baker – s'apprête à publier les Symphonies gravées à Saint-Sernin de Toulouse par Pierre Labric (pour fêter en beauté ses quatre-vingt-dix ans), lesquelles seront suivies des Pièces de Fantaisie et, si tout va bien, des Symphonies de Widor à Saint-Ouen. Pour l'heure, sont déjà disponibles ses Liszt (Saint-Ouen) et Demessieux (Notre-Dame, live)…
Sites Internet :
Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris – concert du 24 mai 2011
http://www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/spip.php?article171
Jeremy Filsell
http://www.jeremyfilsell.com/
Festival Le Paris des Orgues
http://www.orguesparis.fr/
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Photo : DR
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