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Thanks to my eyes d’Oscar Bianchi à Aix-en-Provence - Nuit aveuglante - Compte-rendu
La création de nouveaux ouvrages lyriques est une question de volonté et de commande. Mais la seconde condition ne suffit plus. Ce qu’a compris depuis longtemps le fin musicien qu’est Bernard Foccroulle. Organiste émérite avant de succéder à Gerard Mortier à la tête de La Monnaie de Bruxelles, il y a poursuivi sa politique de commande d’opéras aux principaux compositeurs. Arrivé à Aix en Provence après le départ précipité de Stéphane Lisner, il n’a pu transposer immédiatement sa politique de création dans le Sud. Mais en professionnel, il a vu le parti qu’il pouvait tirer de l’Académie européenne lancée par son prédécesseur.
Elle ne forme pas seulement de jeunes interprètes dont les stages débouchent sur un spectacle l’été suivant, mais sert désormais de « couveuse » à des compositeurs lyriques : la création de Thanks to my eyes, premier opéra de l’Italo-suisse Oscar Bianchi (né à Milan en 1975) au Théâtre du Jeu de Paume d’Aix en Provence est un pur produit de cette incubation. Alors disons bravo ! D’autant que la coproduction avec le T&M-Paris d’Antoine Gindt comme la tournée européenne de l’an prochain ont permis de dégager les moyens nécessaires à l’opération tant du côté de la scénographie que du niveau des interprètes vocaux comme de l’Ensemble Modern magistralement dirigé par Franck Ollu.
De fait, cette partition d’un peu plus d’une heure réussit à affirmer une personnalité musicale par une orchestration particulièrement originale dans l’utilisation des timbres instrumentaux. Oscar Bianchi n’est pas aussi à l’aise avec les voix. Du moins, durant le premier tiers assez scolaire de cet opéra de chambre où il tâtonne et hésite entre plusieurs styles : un peu de Schoenberg, une cuiller de Berg, un zeste de Britten, un petit bout de lamento baroque. Mais rien qui favorise l’unité d’ensemble et la fusion avec l’orchestre. Puis soudain, le miracle se produit ; Bianchi a enfin trouvé sa voie – et sa voix - comme libéré par ces coups de chapeau au passé : le chant va l’amble avec le drame et avec l’orchestre.
Mais comment expliquer le faux départ ? Le compositeur a vu avec beaucoup de discernement un vrai sujet d’opéra dans la pièce de Joël Pommerat Grâce à mes yeux de 2003. Excellente idée. Il demande à l’auteur de la pièce d’en tirer lui-même un livret et de signer la mise en scène. Très mauvaise idée ! Librettiste, c’est un métier à part qui permet justement de tenir l’auteur dramatique à bonne distance de la cuisine du compositeur. Quand on songe aux échanges aigre-doux entre Debussy et Maeterlinck lors de la gestation de Pelléas et Mélisande, on imagine mal que ce dernier aurait pu sereinement adapter lui-même sa pièce aux desiderata du compositeur français : les procès ne seraient toujours pas finis !
Loin de moi, la volonté de faire un mauvais procès à Joël Pommerat dont le caractère n’a pas de mal à être moins ombrageux que celui de Maeterlinck, mais visiblement son texte – même traduit en anglais, et cela probablement par souci de dépaysement… ! – a gêné Bianchi, du moins dans la première partie qui devra être revue. Pour le reste, l’équilibre comme la qualité des voix sont remarquables et d’abord le terrible couple père fils de la basse écossaise Brian Bannatyne-Scott et du contre ténor allemand Hagen Matzeit, effroyable symbole de la castration du second par le premier. Deux sopranos viennent illuminer la nuit aveuglante de ce drame : Keren Motseri, femme nocturne, et Fflur Wyn, jeunesse blonde. Anne Rotger, la mère, et Antoine Rigot, l’homme aux cheveux longs, viennent du théâtre et du cirque. Les uns comme les autres savent nous découvrir les abîmes les plus vertigineux de l’âme humaine.
Jacques Doucelin
Oscar Bianchi : Thanks to my eyes - Aix-en-Provence, Théâtre du Jeu de Paume 6 juillet, dernière représentation le 11 juillet 2011
Tournée européenne : Théâtre de Gennevilliers : 6, 7, 9, 10, 12 mars 2012 ; Théâtre de Saint Quentin en Yvelines : 16 mars ; La Monnaie de Bruxelles : 3, 5, 6, 10, 11 avril ; Fondation Gulbenkian de Lisbonne : 19, 20 mai ; La Zarzuela de Madrid : 7, 8 juin 2012.
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Photo : Elisabeth Carrechio
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