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Danse / Phèdre et Psyché au Palais Garnier - Passions et zéphyrs - Compte-rendu
Un programme inattendu, qui part d’Euripide, passe par Racine et Cocteau et se clôt sur Apulée. Deux facettes de cette fascination que l’antique a exercée sur la danse du début du XXe siècle, d’Isadora Duncan à Nijinsky puis Martha Graham. Deux visages d’un retour aux sources, l’un, Phèdre, qui triompha en son temps, fortement marqué par les années 50, avec les figures emblématiques d’Auric, Cocteau et Lifar, l’autre totalement à contretemps, tout à fait étranger aux modes, le Psyché d’Alexeï Ratmansky, chorégraphe malin dont le Bolchoï n’a pu détruire l’aptitude à la légèreté.
Certes, l’esprit et le style de Lifar sont désormais difficiles à retrouver, le style en paraît à la fois ampoulé et maniéré, à l’exception de quelques chefs d’œuvres comme Mirages, Suite en blanc et Ishtar. Mais reste l’une de ses grandes vestales, Claude Bessy, qui, transformée en sombre furie, aux antipodes de sa blondeur épanouie, trouva en Phèdre l’un de ses plus beaux rôles, après sa création en 50 par la russe Toumanova. Elle a aujourd’hui présidé à la reconstruction de l’œuvre qui avait déserté la scène depuis 1977.
On contemple, comme étranger, cette incontestable architecture de l’espace, la beauté plastique de gestes tragiques ou épurés qui font du corps une statue en marche. En acceptant l’étrangeté des perruques et des costumes pour livres d’enfants dessinés par Cocteau, dont la patte montre ici ses limites, la sécheresse de la musique d’Auric, tellement moins séduisante que celle du Sauguet de Mirages. Et l’on admire surtout la beauté des deux interprètes féminines en lice pour se partager le rôle titre: spectaculaires dans leur drapés, l’œil étiré tels des sphinges, la main vengeresse, Marie Agnès Gillot, musculeuse et puissante, et Agnès le Testu, claire et rieuse à la ville, ici terrible visage de la souffrance et de la mort dans ses tracés aigus, demeurant dans l’épure tout en dégageant la force dramatique. Le pari était difficile. On ne les en admire que plus, ainsi que leurs partenaires, Vincent Chailley, Sabrina Mallem et Josua Hoffalt, et l’arachnéenne Mathilde Froustey.
Oppressant, ce Phèdre laisse la place à un pur rêve en deuxième partie: celui qui conduit Psyché vers l’amour suprême, sur les ailes de l’impalpable musique que César Franck lui a tissée. Une partition d’une beauté langoureuse, d’un lyrisme aéré, qu’on a trop peu l’occasion d’apprécier au concert. Ratmansky l’épouse en une sorte de féerie, dansé en un style néoclassique fluide, piqué d’intrusions naïves telles que zéphyrs et autres créatures fantastiques en tenues kitch, sur fond de décor aux fraîches couleurs de Karen Kilimnik. On craignait de cette débauche de naïveté des vestiges de fêtes scolaires. Il n’en est rien. C’est plus le charme pompéien, la cocasserie des masques à l’antique qui transparaît, et surtout la sensualité d’une héroïne embellie par une chorégraphie tout en pleins et déliés. Elles sont plusieurs à l’incarner, mais face à Stéphane Bullion en Eros et Alice Renavand en claquante Vénus, Aurélie Dupond a distillé une fois de plus son charme languide, pareille à une nymphe née d’un rêve de Canova, flottant avec un moelleux qui n’appartient qu’à elle. La ligne de crête et la courbe des collines, tel était le retour à l’antique de ce spectacle plus séduisant qu’on ne pouvait l’espérer.
Jacqueline Thuilleux
Phèdre et Psyché (mus. de G. Auric et C. Franck ; chor. de S. Lifar et A. Ratmansky ) -Paris, Palais Garnier, le 27 septembre, représentations jusqu’au 6 octobre 2011
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