On en veut toujours autant à Lev Dodin d’avoir confondu folie et asile, mais cela rappelé, il faut convenir que son spectacle fonctionne du feu de Dieu, malgré quelques abandons  comme cette Comtesse qu’il couche au lieu de la faire mourir, ou cette Lisa pas suicidée, et d’ailleurs cet Hermann pas mort. Pour rendre crédible l’incroyable flashback dont il fait sa Dame de Pique, une seule condition, pas de Camarde. Licence facile et que Pouchkine ni Tchaïkovski n’auraient permis. Passez sur cela, car la distribution est en or pur.

Oui, Olga Guryakova a bien du mal avec son air de la Neva, mais qui n’en a pas (même Elisabeth Grümmer s’y cassait les dents), mais elle est Lisa absolument, follement, désespérément sans jamais pourtant se départir d’une présence aristocratique. Larissa Diadkova évite de charger sa Comtesse, elle n’en est que plus étrange et la voix reste toujours glorieuse. Leçon de style selon Ludovic Tézier, son Eletski en remontrerait à celui de Pavel Lisisian lui-même. Parfait Tomski (Evgeny Nikitin, sonore et caustique dans ses deux ballades), Pauline chaleureuse de Varduhi Abrahamyan (très applaudie), comprimari formidables (la palme au Sourine de Balint Sazbo et au Tchekalinski grand teint de Martin Mühle), on est aux anges.

Et en face du Diable devant cet Hermann plus vrai que nature campé par Vladimir Galouzine auquel le rôle appartient depuis vingt ans. Quel acteur ! L’Acte I le cueille à froid, il se chauffe pour ensuite n’en plus finir de brûler, fou à mort, délirant, en voix d’or. A tomber. Même si aujourd’hui Misha Didik peut prétendre à lui succéder, son Hermann nous a rappelé qu’il était de la trempe des Khaneiev, Nelepp et autre Atlantov, pour le chant comme pour le jeu. Dommage que la direction soignée, souvent réflexive, de Dmitri Jurowski ne mettent pas assez le feu aux poudres, ne trouve pas le ton d’exaltation enfiévrée qui transforme le chef-d’œuvre qu’est La Dame de Pique en irrésistible coup de génie.

Jean-Charles Hoffelé

Tchaïkovski : La Dame de Pique
Paris, Opéra Bastille, le 23 janvier, prochaines représentations les 26, 29, 31 janvier, 3, 6 février 2012. www.operadeparis.fr

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Photo : Opéra de Paris / Elisa Haberer