Avec l'humour qui le caractérise, Nikolaï Lugansky avoue qu'il aborde Liszt à 39 ans comme un « vieux sportif », après avoir délaissé le compositeur hongrois depuis ses 22 ans. Le temps aura fait œuvre de maturité. Comme sur le disque qu'il vient de publier chez Naïve, son Liszt virevolte de la plus insolente facilité technique, littéralement inouïe dans la 10e Etude d'exécution transcendante « Appassionata », sans jamais perdre de vue la dimension méditative.

Aucune démonstration virtuose, aucun surmoi romantique, la sobriété de Lugansky a la vertu de faire de ce continent d'invention pianistique la quête continue d'un chant solitaire. Au-delà de la prouesse technique dans l' « Appassionata », c'est la mélodie triste et implorante, passant d'une main à l'autre comme par magie, qui nous émeut. Comme la sombre mélancolie contenue dans la poésie tempétueuse de « Chasse-Neige ».

Tout sauf théâtral, Lugansky est un impressionniste, composant une variété de couleurs et de nuances avec un détachement souverain. En ce sens, on pourrait le rapprocher de Brendel. L'effacement de soi va de pair chez lui avec une lecture éminemment personnelle, jamais torturée, toujours au service de l'invention musicale. Il en allait de même en ouverture de programme. Au dédale des Variations sur un thème de Schumann op 9 de Brahms, il apporte tendresse et unité, avant de choisir les plus expérimentales des pièces de Chopin, telle la 4ème Ballade au chant insistant et aux harmonies infinies, que Lugansky considère comme l’« une des plus belles œuvres pour piano jamais écrite». Un concert d'autant plus réconfortant qu'il a été suivi par un Auditorium de Lyon archi-plein (2264 personnes !), dans une concentration de chaque instant. Sans doute celle qu'appelle l'élégance.

Luc Hernandez

Lyon, Auditorium, 10 février 2012

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Photo : James McMillan and Onyx