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Gustavo Dudamel et la Philharmonie de Berlin - La tradition et le jeune loup - Compte-rendu
Il en va des grandes traditions germaniques comme des tableaux de Léonard de Vinci : grattez l’épaisseur du vernis et le poids de la routine, vous ne reconnaissez plus l’original ! Encore que la Philharmonie de Vienne ne se comporte pas du tout dans ce cas comme sa collègue de Berlin. La tradition dans la ville de François-Joseph résiste des quatre fers et le vernis ne cède pas d’un millième de millimètre lorsque Christian Thielemann tente de forcer la belle dans Schumann.
C’est l’inverse qui se produit avec la Philharmonie de Berlin qui se livre avec délectation à la baguette nerveuse du Vénézuélien Gustavo Dudamel. En vérité, le plus célèbre orchestre du monde a bel et bien perdu la patine qui le rendait reconnaissable entre tous du temps de Karajan. Car ses successeurs, Claudio Abbado et surtout Simon Rattle ont certes maintenu l’excellence des pupitres, mais « globalisé » le recrutement : on y parle autant français et anglais qu’allemand et les femmes y ont imposé leur présence ! Si la vingtaine de violons ne font toujours qu’un à l’arrivée dans nos oreilles, ils n’ont pas le son teuton chevillé aux neurones pour autant...
La contrepartie, c’est la parfaite disponibilité de musiciens ouverts à la nouveauté et à l’aventure avec des baguettes venues d’autres horizons. On y cultive ainsi un beau son qui tend à la perfection, mais a perdu toute référence idiomatique. Voici la célébrissime 5ème Symphonie de Beethoven et les fameuses quatre notes qui sonnent le premier thème : l’expérience baroque a « lessivé » la tradition avec la routine. Faut-il s’en offusquer à la manière de ceux qui refusent de reconnaître la main de Michel-Ange après le nettoyage de son Jugement dernier à la Chapelle Sixtine ?
Dudamel en paraît quasi surpris, intimidé à coup sûr, se tenant respectueusement en arrière de ses troupes qui ont si bien traduit ses moindres intentions qui n’avaient d’ailleurs rien de révolutionnaire. Il fait acclamer chacun de ses solistes et de ses pupitres. Puis, l’exercice de style nouveau se poursuit après l’entracte avec un autre cheval de bataille du répertoire germanique Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss. Le jeune patron de l’Orchestre de Los Angeles refuse le manque de références, la brisure avec le passé, et s’ingénie à retrouver un son qu’il a d’évidence dans l’oreille lui qui vient pourtant d’un lointain continent, et que les musiciens berlinois n’ont plus dans leurs gênes…
Belle illustration du paradoxe parfois douloureux de la mondialisation sauvage et des paradis perdus dont elle jalonne son parcours. C’est sans doute le tribut à payer pour instituer une nouvelle tradition.
Jacques Doucelin
Paris, Salle Pleyel, 3 mai 2012
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Photo : DR
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