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Les Eléments au Collège des Bernardins - Joutes polychorales - Compte-rendu
Décidément, le thème musical «Espace et Polychoralité» fait l'événement dans la grande nef du Collège des Bernardins, ce chef-d'oeuvre cistercien devenu lieu privilégié pour tous les passionnés du foisonnant univers hautes époques.
Aussi bien, dans ce répertoire choral, la mise en espace des voix est en soi tout un programme. En tout cas, le triomphe de l'écriture à plusieurs choeurs coïncide ici avec le rôle prédominant des cantors du Nord ayant émigré dans les chapelles transalpines au temps de la Renaissance. A l'exemple du Flamand Adrian Willaert à qui l'on attribue l'invention de la spatialité (il officia plus de trente ans comme maître de chapelle à la basilique Saint-Marc à Venise).
De l'Italie des Gabrieli et Palestrina à l'Espagne du Siècle d'Or, la polychoralité acquiert une dimension européenne; à l'image du captivant Magnificat Sexti Toni à 3 choeurs à 4 voix de Victoria que le Choeur de chambre mixte Les Eléments vient précisément de réveiller aux Bernardins sous la conduite de Joël Suhubiette (photo).
Confronté à ce type d'oeuvre, celui-ci sait y débusquer mieux que personne l'instant dévot sous l'affrontement dynamique des masses chorales (spatialisées en quelque 6 choeurs dans le quadruple canon Qui habitat à 24 voix de Josquin des Prés, donné également aux Bernardins) et le bonheur sensible des affects. Et ses choix rythmiques impressionnent, jusqu'à faire oublier le savoir-faire des concurrents allemands ou anglais.
Reste qu'au même concert des Bernardins, les joutes polychorales ne se limitaient pas aux seules exhumations du haut-passé. Avec, entre autres, un hommage appuyé à la création contemporaine, dont La Messe à double choeur a cappella (1922-1926) du Suisse Frank Martin, l'un des derniers chefs-d'oeuvre de l'écriture polychorale au XXème siècle, soucis liturgique et expressif y étant associés à parts égales. Et puis, il y avait les commandes particulières des Eléments à la jeune avant-garde : tel Nun de Caroline Marçot (née en 1974), qui joue sur la profonde ambiguïté de cette 14ème lettre commune aux alphabets hébraïque et arabe.
Et surtout Medea Cinderella d' Alexandros Markeas (né en 1965). Une tragédie miniature construite sur la dualité des mythes, a priori fort éloignés l'un de l'autre, de Médée et de Cendrillon, mais que le musicien grec anime d'un dramatisme tout à fait digne du texte d'Euripide (l'écriture vocale s'y hausse au cri, porteur en l'occurrence d'une intense charge émotionnelle dans le sillage de Xenakis). Sans conclure, il y a longtemps que je n'avais été interpellé avec une telle force par une oeuvre d'aujourd'hui.
Roger Tellart
Paris, Collège des Bernardins, 24 mai 2012
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Photo : DR
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