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Le Vaisseau fantôme au Festival de Bayreuth - Sauvé par la musique - Compte-rendu
La nouvelle production du Vaisseau fantôme a fait couler beaucoup d’encre, le remplacement dans le rôle principal du baryton-basse russe Evgeny Nikitin, victime de ses tatouages, par le Coréen Samuel Youn quatre jours avant la première, ayant défrayé la chronique tant locale qu’internationale. A vrai dire, le spectacle tient essentiellement par la grâce de la musique de Wagner et de ses interprètes et non par la mise en scène de Jan Philipp Gloger (30 ans), prétentieuse et d’une réalisation plus que problématique.
Au sein d’un monde en déliquescence financière, des traders s’affairent dans un décor sombre et glacé de marché boursier où défilent sur des compteurs des chiffres en délire. Guère de traces de vaisseau dans cet univers confiné qui se transforme en usine de fabrication et d’emballage de ventilateurs. Au début du II, les fileuses sont transformée ouvrières en bleu de travail, tandis que Senta, toute de rouge vêtue, se construit un univers en carton avec des personnages peinturlurés qui imitent, en modèle réduit, les statues de Baselitz. Même traitement pour le vaisseau transformé en jouet d’enfant. Le Hollandais apparaît flanqué d’une valise à roulettes (celle supposée contenir des bijoux ; en réalité une montagne de billets), avec, sur le côté gauche du visage, d’énigmatiques scarifications… Pour finir, la vie continue dans l’usine après l’incendie de l’entreprise par les marins et le sacrifice de Senta se poignardant, ce qui entraîne la mort de ce Hollandais plus mafieux que nature. Le même personnel produit et vend désormais des figurines à l’image des deux damnés. Une vision du libéralisme sauvage qui aurait fait sourire Marx ou Bakounine ! Une telle cogitation intellectuelle réduit pourtant à néant tout le caractère poétique et fantastique de ce que Wagner qualifie d’« opéra romantique ». On se demande vraiment où l’imagination du metteur en scène va se nicher !
Fort heureusement l’intérêt réside ailleurs, mais il faut fermer les yeux. A la tête de l’excellent et ductile Orchestre du Festival de Bayreuth, Christian Thielemann suscite sans cesse cette tension qui n’existe pas visuellement. Dès l’ouverture, le souffle emporte tout malgré un hautbois un peu nasillard. Son accompagnement est une merveille de précision et de souplesse.
Le Hollandais de Samuel Youn ne démérite pas sans toutefois posséder le charisme et la puissance attendus. Il fera pourtant un triomphe, lui qui, jusqu’alors à Bayreuth, était cantonné dans des seconds rôles.
En Senta, la Canadienne Adrianne Pieczonka, voix légère, bien timbrée, lyrique, aux aigus projetés sans effort incarne, malgré les vicissitudes de la scénographie, cette femme en quête d’absolu qui abolit monde réel et monde de l’imaginaire.
Empressé, obséquieux et paterne, Franz-Josef Selig, transformé en Daland chef d’entreprise et fabricant de ventilateurs, possède beaucoup d’autorité naturelle tout en offrant un chant moelleux venu des profondeurs. En Erik, fiancé éconduit, Michael König tire à bon escient son épingle du jeu par sa clarté d’émission et son jeu volontairement pataud. On est moins séduit en revanche par la Mary de Christa Mayer manquant de personnalité et d’aisance en gouvernante. Le timonier de Benjamin Bruns figure un opportuniste très convaincant à l’image de ces personnages en quête de reconnaissance, prêts à vendre leur âme au diable. Les Chœurs méritent tous les éloges. Préparés par Eberhard Friedrich, ils créent à chacune de leurs interventions un effet dramatique dont, hors Bayreuth, il n’existe pas d’équivalent. Par leur présence, ils occupent l’espace, reléguant au second plan les effets d’une mise en scène dont on peine à concevoir la logique.
Après ce Vaisseau très controversé, on attend désormais le Ring de 2013, dans la nouvelle production de Frank Castorf et sous baguette de Kirill Petrenko.
Michel Le Naour
Wagner : Le Vaisseau fantôme - Festival de Bayreuth, Festspielhaus, 18 août, prochaine représentation vendredi 24 août 2012
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Photo : Enrico Nawrath
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