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Elektra selon Robert Carsen à l’Opéra Bastille - Strauss chez Pina Bausch – Compte rendu
Ce conteur d'histoire aux univers extrêmement soignés, aux esthétiques raffinées, cet homme de théâtre qui cultive l'art du cadre et la lumière, réussit là ou tant d’autres ont échoué, tournant le dos à la laideur et en confinant le drame dans un espace angoissant tout de métal et de terre battue. Dans cette prison visuelle et mentale, Elektra vit recluse, comme un animal, entourée de ses ombres, sortes de doubles gémellaires qui répètent et démultiplient ses gestes à l'infini, dans l'attente désespérée d'Orest, le frère vénéré et exilé par sa propre mère, Klytämnestra. Folle peut être, dépressive certainement, Elektra que l'on découvre allongée à même le sol, reprendra cette position à la fin de l'ouvrage, comme si tout ce qui s'était passé avait été rêvé, sa seule issue étant d'attendre paisiblement la mort. Austère et élégant, cet écrasant décor, véritable théâtre d'ombres où tout semble fantasmé, permet à Carsen d'installer l'action, succession de scènes où les images irréelles et les personnages ne sont que des apparitions.
Dans son monologue d'entrée, Elektra déterre le corps nu et supplicié de son père, Agamemnon, le serre dans ses bras avant que ses sœurs ne le redressent comme pour le ramener à la vie : rien de macabre dans cette image christique, juste la beauté née de la désolation, du manque absolu de l'être aimé. Plus loin l'arrivée de Klytämnestra lovée sur un lit de satin blanc, porté par l'étrange cortège de servantes, seulement éclairée par une poursuite, saisit par son aspect cinématographique : Waltraud Meier a tout d'une star hollywoodienne, égarée sur un plateau où la scène prévue ne serait pas la bonne. Et que dire du traitement quasi-chorégraphique des compagnes d'Elektra dont les cercles, les scansions, les bras haut levés et la manière de fouiller la terre, si ce n'est qu'il évoque Pina Bausch (son Sacre du Printemps) et rythment magnifiquement l'intrigue.
Irène Theorin incarne Elektra de toute sa voix, qu'elle a endurante et solide, sans recourir au cri et sans se laisser impressionner par l'immensité du rôle, apparemment en accord avec la conception du spectacle. Sans faire oublier Nilsson à Garnier en 1974, Jones ou Polaski déjà citées, ni Behrens (Salle Pleyel en 1998), la soprano suédoise à l'étoffe des grandes titulaires. Si visuellement et scéniquement Waltraud Meier est sans rivale, le rôle de Klytämnestra n'est pas dans ses meilleures notes et son instrument se dérobe sur une tessiture où le grave et les aspérités ont leur raison d'être. Quelques semaines après une imposante Emilia Marty de L’affaire Makropoulos, Ricarda Merbeth retrouve Chrysothemis dans laquelle elle n'avait pas convaincu à Marseille la saison dernière, et trouve ici son plein accomplissement : ligne de chant charnue, phrasés soutenus, aigus richement dosés, son personnage a du cran. Vêtu comme son épouse en blanc et réveillé en pleine nuit, l'Aegisth de Kim Begley fait son effet, Evgeny Nikitin composant un très bel Orest, trapu et résolu.
Dans la fosse, Philippe Jordan réussit l'exploit de diriger en alternance et avec le même panache, Verdi (Aida) et Strauss. Le chef empoigne comme à son habitude son orchestre et d'un geste acéré le fait bondir, rugir ou hurler pour répondre aux violences musicales imaginées par le compositeur. L’apprêté des Atrides et les effluves méphitiques qui se dégagent de cette partition rutilante ne sont pour autant pas exempts de moments moins paroxystiques, qui libèrent tout à coup quelques traces de tendresse dans un monde survolté. A l'opposé de la version chambriste de Salonen à Aix l'été dernier, mais tout aussi intéressante.
François Lesueur
Strauss : Elektra – Paris, Opéra Bastille, 4 novembre, prochaines représentations les 18, 24 novembre et 1er décembre 2013
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Photo : Gianluca Moggi
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