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Bérénice d’Albéric Magnard à l’Opéra de Tours – Une noblesse passionnée - Compte-rendu
Bien occupée avec Rameau, la France a complètement oublié le centenaire de la disparition d’Albéric Magnard (1865-1914). Dans l’indifférence à peu près générale de nos orchestres et de nos institutions lyriques, une notable exception toutefois : Bérénice à l’Opéra de Tours.
On ne s’étonne guère de cet acte de curiosité et cette prise de risques de la part de la maison que dirige Jean-Yves Ossonce, fervent avocat d'œuvres injustement délaissées du répertoire français - à commencer par les quatre symphonies de Magnard dont il a signé un enregistrement de référence (1). En 2008, c’est à la découverte du Pays de Ropartz que le disciple de Jean Fournet nous conviait à l’occasion d’une production signée Alain Garichot. Ropartz, d’ailleurs grand ami de Magnard et dédicataire d'une Bérénice que Garichot et Ossonce viennent de faire renaître avec le concours d’une remarquable distribution, et d’abord d’un tandem Bérénice-Titus de premier ordre.
Belle revanche pour une œuvre somptueuse (le livret est du compositeur) qui, après l’échec total de sa création le 15 décembre 1911 à la salle Favart, avait dû attendre 2001 pour être redonnée sur scène à l’Opéra de Marseille, entreprise méritoire hélas gâchée par une distribution très insuffisante …(2).
Voix, régie, orchestre : tout dans la production tourangelle concourt a magnifier la noblesse et l’humanité d’une tragédie en musique qu’Alain Garichot désigne comme « l’œuvre la plus viscérale et la plus profondément humaine qu’il a eu à réaliser ». Peu d’action dans Bérénice mais une force, une intensité des sentiments, des tempêtes intérieures dont le metteur en scène fait son miel avec la complicité de partenaires fidèles et talentueux - Nathalie Holt (décors), Claude Masson (costumes), Marc Delamézière (lumières). Le résultat captive par son intensité épurée. Nulle grandiloquence dans l’approche d’A. Garichot, mais un attachement au sens des mots qui le guide continûment et lui permet de faire sienne avec tact «la passion de la sincérité » qu’Adolphe Boschot louait chez Magnard. Plus de deux heures et demie durant le public nombreux est tenu en haleine par un opéra inconnu auquel, in fine, il réserve le plus enthousiaste accueil – et après ça on nous racontera qu’il manque de curiosité…
La performance n’est pas mince et c’est évidemment grâce à la qualité du plateau qu’elle a pu s’accomplir. Peu après une superbe Floria dans Les Barbares de Saint-Saëns à Saint-Etienne, Catherine Hunold montre certes à nouveau sa curiosité en s’engageant dans un projet vocalement redoutable, mais prouve surtout – ce que trop de directeurs de théâtre oublient – qu’elle est l’une des grandes voix françaises d’aujourd’hui. La classe et la vie intérieure de sa Bérénice fascinent de la part d’une artiste qui n’a de cesse de mettre la note en accord avec la syllabe, la musique avec le sens, pour traduire toute la richesse de son personnage. Le compliment vaut aussi pour Jean-Sébastien Bou, Titus viril et émouvant pris en étau entre ses sentiments et les choix que lui imposent la raison d’Etat et le peuple (dont les Chœurs de l’Opéra de Tours, impeccablement préparés par Emmanuel Trenque, font entendre en coulisse la voix menaçante et les paroles parfois crues). Une raison d’Etat dont le Mucien d’Antoine Garçin se fait l’expression avec une sombre autorité. Peu à son aise vocalement dans le rôle de Lia, Nona Javakhidze sait toutefois se montrer touchante. Comprimari parfaits de Michel Chapeau (L’Officier), Yvan Sautejeau (Le chef de la flotte) et Sylvain Bocquet (L’Esclave).
Initiateur de la production de Bérénice à Tours, Jean-Yves Ossonce est l’un des protagonistes majeurs de sa pleine réussite. Dès le vaste prologue (une bonne douzaine de minutes !) on comprend que l’ouvrage est en de bonnes mains. Le chef sait en traduire le souffle et la richesse, sans lourdeur ni opacité mais avec fluidité et sens du détail et des climats, bien aidé en cela par l’investissement total des instrumentistes de l’Orchestre symphonique Région Centre-Tours (une mention spéciale pour les magnifiques bassons au II !).
« On constate avec tristesse que cette partition si forte, si harmonieuse, si virilement pathétique et si ample a disparu de la scène de l’Opéra-Comique, déplorait il y a bien longtemps Henry Malherbe à propos de Bérénice (3). Que faut-il donc pour que l’on rendre enfin justice à Albéric Magnard ? » La curiosité, l’enthousiasme et l’intelligence sensible d’une équipe telle que celle réunie à l’Opéra de Tours !
Alain Cochard
(1) Avec le BBC Scottish Symphony Orchestra (2CD Hyperion)
(2) un document sonore disponible sur Youtube en témoigne.
(3) cité par René Dumesnil dans « La Musique contemporaine en France » (1930)
Magnard : Bérénice – Tours, Grand Théâtre, 6 avril 2014
Photo © François Berthon
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