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La Création, ballet d’Uwe Scholz, par le Ballet de l’Opéra national du Rhin - Ambitieux - Compte rendu
On l’a attendue avec tant d’impatience, cette Création sur le chef-d’œuvre de Haydn, qui fut l’un des plus grands titres de gloire de l’Opéra de Zurich lorsqu’Uwe Scholz irradiait la troupe de sa personnalité et de son talent, de 1985 à 1991. Et l’on s’est réjoui qu’Ivan Cavallari, directeur du Ballet rhénan, ait le courage de sortir de l’oubli l’œuvre du créateur allemand, que la France avait toujours boudé. De Scholz, qui disparut à 46 ans en 2004, on a gardé la rumeur d’une nature écorchée, ultrafragile et dévorée par une quête de beauté et d’infini qui confinait au mysticisme, et le sillage de grandes œuvres qui marquèrent la chorégraphie allemande: comme John Neumeier, Scholz avait grandi sous la coupe de John Cranko, le directeur du Ballet de Stuttgart, disparu lui aussi à 46 ans, en 1973, et dès ses 21 ans, Marcia Haydée la grande muse et remplaçante du maître disparu, faisait de lui l’un des chorégraphes permanents de la compagnie. C’est dire si ce jeune homme né dans un milieu guère porté par les arts, diffusait un supplément d’âme. Et c’est ainsi qu’il s’envola, de Stuttgart à Zurich puis à l’Opéra de Leipzig, où il donna au Ballet une aura internationale.
Si l’on considère ses opus, on ne peut que constater les ambitions de ce garçon porté par la musique autant que par la danse, avec sans doute une humilité due à un contact totalement personnel et non né dans quelque éducation privilégiée. Les grandes pages ne lui échappèrent pas, puisqu’il s’attaqua, dans un style résolument néoclassique mais d’une grande originalité, à Stravinsky, Bartók, Mendelssohn, Berlioz, Bruckner et qu’il ne recula ni devant la Grande Messe de Mozart, ni devant La Messe en si de Bach, sans parler de Die Schöpfung, son rêve de toujours, chorégraphié pour ses 27 ans, et triomphe mémorable, tout au moins en terre germanique. En France, il n’y eut que Pierre Moutarde, alors qu’il dirigeait le Théâtre de Saint-Quentin, pour le programmer, à de rares exceptions près.
Mais en découvrant aujourd’hui ou revoyant cette œuvre fameuse et chérie de son créateur, on ressent pourtant une émotion bizarre, et l’on revérifie combien la danse, coupée de son influx initial, peut se vider. Sur la splendide partition de Haydn, Scholz n’a pas construit de monde parallèle, comme l’eût fait un Béjart, ni tenté d’expliciter les intentions du compositeur, ce que maîtrise si bien John Neumeier. Il suit, à la lettre, à la ligne, la moindre des inflexions musicales, il illustre comme dans une imagerie très didactique les évolutions des anges, puis du premier couple humain. Tout est ciselé, raffiné, porteur d’une incontestable lumière intérieure. Mais Scholz, qui n’avait rien d’un provocateur et était juste un fou de beauté, ne parvient pas à sortir d’un certain maniérisme qui ne rappelle que trop la mièvrerie du livret, du moins dans la vision qu’en montre le Ballet du Rhin.
Autre élément qui donne à réfléchir et montre que le mieux est parfois ennemi du bien : Ivan Cavallari, en bon et énergique directeur de compagnie, tente de tirer la sienne par le haut. La subtilité du dessein du chorégraphe semble pourtant échapper à une troupe appliquée, en net progrès, certes, mais qui ne parvient pas à saisir la substance complexe d’une entreprise énorme, techniquement et artistiquement. Certains solistes, pourtant, dominent de leur grâce inspirée cette joliesse générale qui reste certainement en deçà de la spiritualité de Scholz : notamment Stéphanie Madec et Alexandre Van Hoorde, couple idéal par le contraste entre la finesse de la ballerine et la puissance de son partenaire. Et si l’on apprécie le bel ensemble réuni autour du chef Vincent Monteil, en enrichissant l’ensemble La Follia d’éléments supplémentaires, on est déçu par le ténor Mark Van Arsdale et franchement gêné par la soprano Hanne Roos, aux aigus criards et au style incertain, tandis que la basse Norman Patzke porte heureusement le reste du discours chanté avec force et expression (l’excellent Chœur de l’Opéra du Rhin prête son concours au spectacle). Mais le temps a passé sur cette aventure généreuse et sans nul doute inspirée, comme sur la 9ème Symphonie de Béjart, aux élans brisés aujourd’hui. La création souffle d’ailleurs, et les anges de Scholz ne sont plus à même de la réveiller.
Jacqueline Thuilleux
Haydn/Scholz : La Création. Opéra national du Rhin. Strasbourg, le 7 avril 2014, prochaines représentations à Colmar (Théâtre Municipal), les 26 et 27 avril 2014.
/www.concertclassic.com/concert/la-creation-de-haydn-par-uwe-scholz
Photo © Jean-Luc Tanghe
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