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Pâques Russes, par le Ballet du Capitole de Toulouse - Les trésors de la tradition - Compte rendu
Pâques Russes, par le Ballet du Capitole de Toulouse - Les trésors de la tradition - Compte rendu
Kader BELARBI, Ballet du Capitole de Toulouse, David GALSTYAN, Juliana BASTOS, Oleg VINOGRADOV, Kazbek AKHMEDYAROV, Maria GUTIERREZ ; Koen KESSELS, Orchestre national du Capitole de Toulouse
C’est un œuf de Fabergé qu’offre au public toulousain Kader Belarbi, directeur du Ballet du Capitole, avec cette trilogie qui nous fait cheminer sur deux siècles d’évolution du ballet russe. Car c’est une épopée que raconte ce programme, montrant comment les Russes d’abord guidés par les Français, Didelot, Saint-Léon, Petipa, puis les guidant à leur tour, avec Fokine, Balanchine, et plus tard Lifar, donnèrent à la danse une expression et une implantation dans son temps jamais atteinte depuis La Sylphide, en 1832.
On ne résiste pas aux Sylphides, rêverie romantique en un acte, l’une des premières manifestations des Ballets Russes au Châtelet. Les parisiens y découvrirent pour la première fois une ballerine échappée d’un nuage, Anna Pavlova, le 2 juin 1909. Un ineffable moment de poésie esquissé à coup de sauts légers et d’attitudes vaporeuses, et ce malgré son affreuse musique, où l’hommage à Chopin voulu par Fokine s’alourdit d’instrumentations laborieuses, transformant sa finesse en flonflons de cirque. Il faut dire qu’au début du XXe siècle, on ne mollissait pas devant les mélanges ou les transcriptions. Les versions originales et ce qu’elles ont de pieusement illusoire à notre époque de vide créatif, n’avaient pas encore fait leur apparition. Ainsi le Festin, créé en 1909, et bien oublié depuis : il rassemblait pourtant Rimski-Korsakov, Glinka, Tchaïkovski, Glazounov outre Benois, Roerich, Bakst et Bilibine associés pour les décors et costumes : « mêler tous ces éléments à part égale, à qualité égale » suivant le vœu de Diaghilev.
Irrésistibles donc, ces Sylphides, que Kader Belarbi, dans un souci de couleur russe, a voulu présenter sous son nom original de Chopiniana, créé au Mariinsky en 1907, avant de connaitre la gloire à Paris deux ans plus tard : il était alors devenu Les Sylphides et l’hommage à Chopin mué en une évocation du romantisme On mesure la difficulté, pour une troupe d’excellent niveau, comme l’est à ce jour le ballet toulousain, mais rompu à des styles plus extérieurs ou spectaculaires, à se couler dans ce moule tout de délicatesse et de lyrisme retenu, sans tomber dans la mignardise démodée voire caricaturale, et d’exprimer l’âme d’un temps si lointain avec autant de discrétion : et ce malgré les exigences classiques qu’a gardées Belarbi, ancienne étoile de l’Opéra de Paris . Une ode à la grâce que ces Sylphides, qui montrent un poète entouré d’esprits voltigeant dans le tutu long et flottant de l’imagerie légendaire, dans une ambiance de blanche et douce nostalgie. Rien de dramatique, juste un adieu touchant, un point d’orgue à l’époque romantique que Fokine dessine avec amour, tel - toutes proportions gardées- Schönberg lançant un adieu désespéré au romantisme germanique dans ses Gurrelieder.
Merveilleux exercice de style pour vibrer d’une seule aile, et infiniment profitable à la cohésion et à la ligne de la troupe, dont la composition est si bigarrée, pourtant, avec ses multiples écoles et nationalités. Un exploit ! Il faut dire qu’une moderne Pavlova les y a aidés, la grande Irina Kolpakova, étoile russe devenue professeur à l’ABT new yorkais : à 80 ans passés, elle en dit plus avec ses mains que toute une escouade de modernes Sylphides.
Le public toulousain, dont on constate au passage qu’il brille par sa jeunesse, a joué le jeu et applaudi cette performance inaccoutumée, avant de déguster le reste du menu, plus corsé : Le Fils Prodigue, que l’on voit abondamment sur toutes les scènes du monde, est un copieux chef-d’œuvre, dont la musique, signée d’un Prokofiev plus offensif que jamais, secoue, tandis que la chorégraphie de Balanchine provoque par sa force synthétique et sa brutalité emphatique, sur fond de toiles de Rouault qui claquent comme des pages de BD, lourdes et puissantes. Il fallait bien ce ballet qui fut le dernier des Ballets Russes en 1929, pour montrer les hommes de la compagnie, après les blancheurs éthérées des sylphides. Et Belarbi, qui dispose de plusieurs étoiles masculines tout à fait fracassantes, a la chance d’avoir en David Galstyan, musculeux, ramassé, un Fils Prodigue en totale adéquation avec les traits appuyés de Rouault. On est en revanche un peu en deçà avec l’apparition de la pourtant belle Juliana Bastos, dont les pointes mal cambrées cassent la ligne de la sirène fatale. Un certain manque d’assurance aussi dans ce rôle qui implique une allure impériale.
Autre pari, également inattendu : avec le Grand Pas de Paquita, c’est encore plus loin que l’on retourne, avec Petipa et sa virtuosité faite pour rendre les danseurs éblouissants, plus que séduisants ou intéressants. Les variations enchaînées ici par Oleg Vinogradov d’après le grand français ont été présentées par le Kirov en 1978 et requièrent une impitoyable précision dans leur enchaînements virevoltants : les danseurs et surtout les danseuses toulousaines s’y jettent à corps perdu, avec des ratés lorsque l’enjeu finit par les épuiser, mais avec un incontestable brio, que le chef Koen Kessels, avec l’Orchestre du Capitole, ne laisse jamais retomber. Voilà les ballerines obligées d’éblouir avec un axe sans faille, des pointes d’acier et des pirouettes bien frontales. Heureusement, le Ballet du Capitole a des étoiles capables d’électriser la troupe et de faire passer au second plan ses menues imperfections: Kazbek Akhmedyarov, et l’incomparable Maria Gutierrez, en tête. Sauts d’obstacles réussis.
Jacqueline Thuilleux
Pâques Russes : Toulouse, Halle aux grains, 10 avril 2014
Photo © David Herrero
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