Et si l’une des plus belles réussites de Gerard Mortier, qui apporta à la Grande Boutique tant de nouvelles productions aussi radicales que discutées était une résurrection ? Cet Orphée et Eurydice, chanté en allemand mais dansé quasiment en italien tant sa chorégraphie est expressive et sensuelle jusque dans la Mort puisque Pina Bausch refuse la fin heureuse du livret de Ranieri de’Calzabigi, fut créé en 1975 par le Tanztheater de Wuppertal, dans une scénographie et des costumes de Rolf Borzik. Pina Bausch s’obstinait alors à relire Gluck. L’année précédente sa mise en scène d’Iphigénie en Tauride avait fait couler pas mal d’encre. L’accueil réservé à cet Orphée tout en jeux de miroirs fut plus consensuel. En fait il échappa au public comme à la critique, Pina Bausch elle-même l’oublia jusqu’en 1991 lorsque, aidée par la mémoire de ses danseurs, elle reconstitua ce spectacle disparu.

1991, année où justement elle dévoilait au Palais Garnier son Iphigénie de 1974. Gerard Mortier n’eut de cesse de ressusciter une fois encore cet Orphée si éloquent où les chanteurs sont doublés par des danseurs, avec un tel art mimétique qu’on ne sait plus qui chante ou danse. En 2005 Garnier retrouvait intact tout un monde d’émotion porté par une grammaire poétique où Bausch, sans peut-être qu’elle en fût absolument consciente, a quintessencié son art. La reprise de 2008 sera filmée et éditée (1) immortalisant une fois pour toute cette aventure unique. Mais voilà que Garnier affiche à nouveau Orphée sauvé du royaume des ombres, le plus bel hommage en vérité que Nicolas Joel pouvait rendre à son prédécesseur disparu le 9 mars dernier.

Jean-Charles Hoffelé

1) 1 DVD Bel Air Classiques / BAC044

Gluck : Orphée et Eurydice
3, 4, 5, 8, 9, 10, 12, 13, 15, 16, 17, 19, 20 et 21 mai 2014
Paris - Palais Garnier
www.concertclassic.com/concert/orphee-et-eurydice-de-gluck-opera-danse-de-pina-bausch

Photo © Agathe Poupeney / Opéra national de Paris