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Le Lac de Jean Christophe Maillot par les Ballets de Monte Carlo à Chaillot - A en perdre le souffle - Compte-rendu
Une formidable phase ascensionnelle pour cette magnifique compagnie et son directeur, Jean Christophe Maillot, qui obtiennent un triomphe à Chaillot, peu habitué à de telles troupes classiques. Malandain y avait récemment ouvert la voie avec sa Cendrillon, où la chaussure faisait rêver du chausson, voici avec les monégasques, un ouragan de jeunesse nullement freiné par la technique académique, sur laquelle Maillot veille jalousement.
Grâce à lui, le Rocher, qui fut jadis l’un des phares européens du ballet classique, a retrouvé sa grandeur. Certes il y invite régulièrement d’autres compagnies, et frotte ses danseurs à Kylian, Forsythe et autres grands. Mais il est l’âme de cette joyeuse bande d’une cinquantaine de jeunes gens venus de partout, qu’il fédère d’un élan commun, et mieux encore d’un style qui s’enrichit de leurs différences tout en gardant une direction bien définie.
Cette direction, c’est celle de la vigueur inventive de Maillot, dont le catalogue d’opus commence à être débordant, grâce à sa puissante imagination, ses obsessions transcendées au service d’une danse aussi captivante dans sa modernité que rigoureuse dans ses figures, et sa richesse d’inspiration. Difficile de comprendre pourquoi Paris ne l’avait guère réinvité depuis 7 ans. Grâces soient donc rendues à l’absence de préjugés de Didier Deschamps, qui ouvre Chaillot à des horizons multiples.
Un cocktail savoureux et particulièrement détonant pour ce Lac, dont la musique et le thème fascinent le chorégraphe, depuis toujours porté par Perrault, Grimm ou les contes scandinaves. Dans ces histoires qui ramènent à l’imaginaire, aux peurs et aux rêves de chacun, il trouve une grande liberté pour laisser la bride aux forces sombres qui l’habitent autant qu’à son sens de la couleur et du mouvement. Dans son Lac, commencé sur une idyllique vidéo où l’on voit deux enfants pénétrer dans un univers féérique et inquiétant, il garde de l’original le combat du bien et du mal, la noirceur autant que le désir d’innocence qui cohabitent en nous, les angoisses d’adolescence et la plongée brutale et douloureuse dans l’âge adulte. Il y injecte des cygnes qui n’ont plus rien de commun, malgré leurs miettes d’ailes, avec les beaux oiseaux de Petipa, mais sont des bêtes cruelles et agressives, comme il est dans la réalité.
D’une incroyable violence dans sa rythmique et sa progression vers une sorte d’initiation finale qui est un déchirement, ce Lac brouille les pistes et entraîne le spectateur dans un tourbillon dynamique presque oppressant dans son refus de se relâcher un seul instant. Pour les danseurs, aux techniques superbes, notamment au niveau des pointes, particulièrement couvées par Maillot qui veut voir dans le pied cambré de la danseuse un prolongement presque physiologique, il s’agit d’une vraie performance: non seulement au niveau des solistes, la splendide Mi Deng, reine fine comme un poignard, et le tendre cygne blanc d’Anjara Ballesteros, tandis que Lucien Postlewaite avec sa grâce juvénile de jeune prince s’oppose avec élégance à l’impressionnant Gabriele Corrado, roi aux allures de torero, mais aussi pour l’ensemble des danseurs, animés d’une sorte de rage, et accomplissant des prouesses techniques dont ils font un vrai langage. Il y a aussi une Majesté de la Nuit, sorte de Maléfique campée avec un glamour un peu raccoleur par Aprile Ball, et dont on sait qu’elle trouve une toute autre portée, lourde de menace, avec l’étoile de la compagnie, Bernice Coppieters, qui l’incarne en alternance.
Pour porter un tel pari, Maillot, qui fit ce ballet en 2011, dans la scénographie sobre d’Ernest Pignon-Ernest et les costumes tapageurs de Philippe Guillotel, a trouvé une extraordinaire interprétation de la partition de Tchaïkovski, celle de Leonard Slatkin, En regard de sa folie martelée, de ses cadences d’apocalypse, la version de Valery Gergiev est angélique. Et l’on admire que les danseurs soutiennent ce rythme infernal : une grande bacchanale que ce Lac, aux allures de ballet-rock. On se laisse happer.
Jacqueline Thuilleux
Le Lac (P.I. Tchaïkovski/ J.-C. Maillot) – Paris, Théâtre National de Chaillot, le 6 juin, prochaines représentations les 10, 11, 12 et 13 juin 2014 /
theatre-chaillot.fr/danse/ballets-monte-carlo/lac
photo @ Alice Blangero
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