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Hommage à Marie-Claire Alain au grand orgue de Saint-Sulpice – Récital à quatre - Compte-rendu

Buffet de Saint-Sulpice

 Pour son dernier concert avant la pause estivale, l'Association pour le Rayonnement du Grand Orgue de l'église Saint-Sulpice (AROSS) a rendu hommage à Marie-Claire Alain, disparue le 26 février 2013, en conviant quatre de ses anciens élèves pour un même récital – Marie-Claire Alain ayant commencé dès 1956 (Académie d'été de Haarlem, Pays-Bas) une exceptionnelle carrière de pédagogue. Conçu autour d'un programme évoquant ceux de la grande Dame de l'orgue, celui-ci permit d'entendre tour à tour quatre concertistes de renom (dont trois Prix de Chartres !) : Daniel Roth, titulaire du Cavaillé-Coll de Saint-Sulpice et, avec Yves Devernay, premier récipiendaire du Prix de Chartres (1971) ; Vincent Warnier (Prix de Chartres 1992), titulaire, avec Thierry Escaich, de Saint-Étienne-du-Mont (l'orgue de Maurice Duruflé, qui fut l'une des influences musicales de Marie-Claire Alain, au côté d'un Marchal ou d'un Litaize) ; Edgar Krapp, successeur de Helmut Walcha, l'un des plus merveilleux poètes de l'orgue et pionnier majeur en Bach, à la Musikhohschule de Francfort avant d'enseigner à celle de Munich ; enfin George Baker, organiste (et médecin) américain, Prix de Chartres 1974, auquel revint l'honneur de terminer l'intégrale Vierne entreprise pour Solstice par Pierre Cochereau.
 
Programme chronologique, sans rupture de tension en dépit du roulement continu des interprètes, confirmant (éternelle source d'émerveillement) la capacité de ce monument symphonique de cent jeux à se glisser, à sa manière, dans l'esthétique baroque : Buxtehude (DR) ouvrit le feu avec le Praeludium en mineur BuxWV 140, flamboyant et fantasticus, suivi du fameux Vor deinen Thron BWV 668 de Bach (VW), dernier des Chorals de Leipzig, que Marie-Claire Alain avait pour habitude de jouer à la fin de L'Art de la Fugue, pour refermer l'ultime Contrepoint, inachevé. Une brillantissime Sonate n°2 de Mendelssohn (EK) fit basculer dans le romantisme, elle-même suivie de l'électrisant Carillon (GB) des Sept pièces op. 27 de Marcel Dupré (titulaire des lieux après Widor – et dont MCA fut l'élève au Conservatoire), d'une virtuosité et d'une énergie sidérantes à Saint-Sulpice : Dupré, au tournant des années trente (ici 1931), rivalise sans peine, en matière de percutante Motorik, comme on dit outre-Rhin, avec Chostakovitch ou Prokofiev, admirablement servi par un Cavaillé-Coll de Saint-Sulpice en grande forme et extraordinairement sonore (bien que d'une extrême distinction), contrairement à ce que beaucoup prétendent…
 
En ouverture de second partie : Improvisation (DR) sur des thèmes de Marie-Claire Alain, elle-même maître en harmonie et très au fait de cette science mais qui improvisait peu – il existe cependant une gravure Erato (Nuit de Noël, Saint-Merry, 1961 – où elle accompagne notamment Camille Maurane de splendide manière) faisant entendre cinq improvisations pour le moins étonnantes, dont une d'une remarquable « modernité ». S'ensuivirent des pièces en lien avec la famille Alain : Carillon de Bougival (GB) d'Albert Alain, délicieusement modal et ici d'une indicible poésie sur les fonds chantants du Cavaillé-Coll et dans la grande acoustique de Saint-Sulpice ; Prélude et Fugue sur le nom d'Alain (VW) de Duruflé, sur un tempo proche de la transe, puis son pur contraire en termes de déploiement sonore : Choral dorien (DR) de Jehan Alain, ici étonnamment enlevé et d'une brûlante intériorité ; bouleversant Chant héroïque « à la mémoire de Jehan Alain » (GB) des Neuf pièces op. 40 (1942-1944) de Jean Langlais : « […] j'ai écrit à sa mémoire un chant de révolte. J'ai mis là-dedans comme une espèce de sensation poétique de sa propre musique », écrivait Langlais (auprès duquel MCA travailla d'ailleurs l'improvisation) – magnifique et réellement saisissant sous les doigts très inspirés de Baker. Edgar Krapp referma ce récital avec, de Jehan Alain, Petite pièce (1932), subtile et sensible, grande par sa profondeur, et naturellement l'œuvre que Marie-Claire Alain joua sans doute des milliers de fois, souvent en bis : Litanies (1937), pur vent de l'esprit.
 
Que ce soit dans le cœur et la mémoire de ses admirateurs ou à travers ses multiples élèves venus du monde entier et qui redisent magnifiquement combien cette musicienne aura constitué à elle seule une étape essentielle de l'histoire de l'orgue, Marie-Claire Alain est et demeure plus présente que jamais.
 
Michel Roubinet
 
 
Paris, église Saint-Sulpice, dimanche 15 juin 2014
 
Prochains concerts de Saint-Sulpice (le dimanche à 16 heures) :
• 28 septembre : Thomas Dahl (Sankt-Petri, Hambourg)
• 26 octobre : Juan Paradell Solé (Cappella Musicale Pontificia « Sistina », Vatican)
• 23 novembre : Louis Robilliard (Saint-François de Sales, Lyon)
 
Site Internet :
Les grandes orgues de Saint-Sulpice – Programme des concerts 2014 : www.stsulpice.com
 
 
Signalons que les nombreuses gravures réalisées dans les années 1950 par Marie-Claire Alain pour les Discophiles Français ont été numérisés par la BNF et sont disponibles en téléchargement sur les plateformes habituelles ; également que le tout premier disque de MCA (Bach, Saint-Merry, 1954) vient d'être repris (mars 2014) par Erato (Warner, collection The ERATO story), qui annonce également pour l'automne la parution d'un grand coffret (22 CD) : Marie-Claire Alain et l'Orgue français.
 
Photo : Buffet du Grand Orgue de l'église Saint-Sulpice / © DR

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