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Trilogía de los fundadores au Théâtre de la Zarzuela de Madrid - Trois zarzuelas victorieusement ressuscitées - Compte-rendu
Le Teatro de la Zarzuela clôt en beauté sa saison lyrique, par une initiative qui ne mérite que des éloges. La désignée Trilogía de los fundadores (Trilogie des fondateurs), série de représentations en version semi-scénique, offre à se délecter de trois zarzuelas ressorties opportunément de l’oubli. Ce qui a nécessité tout un travail en amont de reconstitution et de recherche musicologique (dont un manuscrit miraculeusement retrouvé à Cuba !), à la charge de l’efficient ICCMU (l’officiel Institut des Sciences musicales de Madrid), avec partitions critiques éditées pour l’occasion. Ces zarzuelas et leurs auteurs sont en l’occurrence aux fondements baptismaux du Teatro de la Zarzuela (inauguré en 1856), mais non pas du genre lyrique espagnol lui-même – qui, comme chacun sait, et les lecteurs de notre Brève Histoire de la Zarzuela (1) d’autant mieux, remonte au XVIIe siècle.
Joaquín Gaztambide (1822-1870), Emilio Arrieta (1821-1894) et Francisco Asenjo Barbieri (1823-1894), compositeurs dominant la scène lyrique espagnole des années 1850, se retrouvent ainsi réunis par des ouvrages emblématiques dont on ne savait jusqu’ici au mieux que les intitulés. Catalina, El dominó azul et El diablo en el poder, connurent pourtant à leur création (1854, 1853 et 1856, respectivement), des triomphes retentissants à Madrid. Mais ainsi vont les engouements et l’Histoire de la musique, qui relègue souvent des pages marquantes dans les brumes impénétrables. En raison parfois de l’ombre exercée par d’autres ouvrages ultérieurs et mieux célébrés des mêmes auteurs, plus que de leurs qualités intrinsèques. Une conjonction de circonstances qui n’est pas nécessairement propre au genre de la zarzuela…
El dominó azul / © Fernando Marcos
Il est curieux aussi de noter combien ces trois ouvrages respirent l’air du temps, à Madrid ou ailleurs : une formule en trois actes (de mise pour la zarzuela dite grande, alors prépondérante), un sujet historique où le drame n’est évité que de justesse, une floraison d’ensembles à grand renfort de chœurs et la part belle faite aux chanteurs solistes. Catalina plante ainsi son action… chez le tsar Pierre le Grand, suivant la vogue de l’exotisme nordique lancée peu auparavant par le succès international de L’Étoile du Nord de Meyerbeer ; dont on trouverait au reste des parentés stylistiques chez Gaztambide, au sein de mélodies et harmonies travaillées. El dominó azul (« Le domino bleu », sans rapport aucun avec Le Domino noir d’Auber) s’inscrit plus traditionnellement dans une péripétie espagnole, à la cour de Philippe II au XVIIe siècle avec des complots ourdis lors d’un bal masqué, qui ne serait pas si éloigné dans l’esprit ni la tournure de celui postérieur de Verdi. Au détour de factures italianisantes, l’inspiration redore le blason d’Arrieta, entre raffinements et belles envolées. Assurément supérieur musicalement à Marina, son ouvrage le plus connu. Mais le joyau de ces redécouvertes brille avec El diablo en el poder (« Le diable au pouvoir »). Ici aussi le décor se veut historique espagnol, à la cour royale du XVIIIe siècle cette fois, où un diable théâtral gratifie un sujet crypto-faustien nimbé de cette musique diverse et complexe dont Barbieri avait le secret (et qui trouvera son plein épanouissement quelque dix ans plus tard dans Pan y toros).
El diablo en el poder / © Fernando Marcos
Au Teatro de la Zarzuela la restitution se révèle digne de l’ambition. Avec ces voix affirmées dont l’Espagne a, aujourd’hui comme naguère, le privilège. Citons, au sein de distributions pléthoriques : Vanessa Goikoetxea, Marta Mathéu, Gustavo Peña, Javier Franco, Sonia de Munck, Mónica Campaña, César San Martín, Ruth Iniesta, Josep-Miquel Ramón, ou le ténor irradiant Mikeldi Atxalandabaso et la soprano à l’aisance confondante Elena de la Merced. Le chœur maison, omniprésent, allie vigueur et dextérité, pour des parties qui ne vont pas toujours de soi. L’Orchestre de la Communauté de Madrid, également titulaire du théâtre, démontre sa ductilité d’un style à l’autre, sous la battue énergique (parfois trop) de José María Moreno. Álvaro del Amo conçoit de son côté une dramaturgie élégante, en phase avec les œuvres, parmi des costumes joliment décalés et des éclairages choisis, pour une mise en espace appropriée. C’était à Madrid, et nulle part ailleurs.
Pierre-René Serna
(1) Une Brève Histoire de la Zarzuela
Floraison baroque : www.concertclassic.com/article/une-breve-histoire-de-la-zarzuela-i-floraison-baroque
Renaissance éclatante au XIXe siècle : www.concertclassic.com/article/une-breve-histoire-de-la-zarzuela-ii-renaissance-eclatante-au-xixe-siecle
Apogée et fin : le XXe siècle : www.concertclassic.com/article/une-breve-histoire-de-la-zarzuela-iii-apogee-et-fin-le-xxe-siecle
« Trilogía de los fundadores ». Joaquín Gaztambide : Catalina, 19 juin ; Emilio Arrieta : El dominó azul, 20 juin ; Francisco Asenjo Barbieri : El diablo en el poder, 21 juin 2014 - Madrid,Teatro de la Zarzuela -teatrodelazarzuela.mcu.es
Photo : El diablo en el poder / © Fernando Marcos
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